C. CUSE (Scénariste & Producteur) : «Pour bien adapter une œuvre en série, il ne faut pas la respecter, il faut l’aimer»

711

Actu QUESTIONS – Carlton CUSE, Créateur, Scénariste & Producteur de séries

Créateur, scénariste et producteur de séries, Carlton CUSE est l’un des showrunners contemporains les plus reconnus grâce à des séries comme «Lost», «Bates Motel», «The Strain», «Colony» ou encore «Nash Bridges» . Dans le cadre du 58ème Festival de Télévision de Monte-Carlo, nous l’avons rencontré.

Votre prochaine série, disponible le 31 août 2018 sur Amazon Prime Video, suivra les aventures de l’agent de la CIA Jack Ryan, célèbre personnage créé par le romancier américain Tom Clancy. Comment avez-vous appréhendé la série ?   

 Avant toute chose, j’ai dû lire six ou sept des romans de Tom Clancy, mais il n’a jamais été question de les adapter à la lettre. Ce sont des œuvres qui reflètent l’état du monde à l’époque où elles ont été écrites, c’est-à-dire entre la fin des années 80 et les années 2000. J’ai donc décidé de ne garder que les personnages principaux, et de me servir du nom de Tom Clancy pour écrire un thriller géopolitique international complexe. Sans cette «marque», peut-être qu’on ne m’aurait pas laissé faire la série. L’une des principales difficultés, quand on adapte un roman, est de donner un visage aux héros. Déjà quatre acteurs ont incarné Jack Ryan par le passé : Alec Baldwin («A la poursuite d’Octobre rouge»), Harrison Ford («Jeux de guerre»), Ben Affleck («La Somme de toutes les peurs») et Chris Pine («The Ryan Initiative»). Tom Ryan doit être intelligent et costaud à la fois, séducteur mais vulnérable. John Krasinski, proche des téléspectateurs grâce à la série «The Office» était l’acteur idéal. (Une 2ème saison de la série a déjà été commandée par Amazon, ndlr).

Quels sont vos autres projets d’adaptations ? On parle beaucoup d’un comic book…

J’ai le projet en effet d’adapter en série «Locke & Key», un comic book fantastique écrit par Joe Hill (fils de Stephen King, ndlr). Pour imaginer une version de son histoire qui puisse convenir à la télévision, j’ai travaillé pendant six mois avec l’auteur. Dans le cas d’un comic book, nous ne pouvons pas ignorer les images déjà existantes. Pour autant, il faut imaginer une nouvelle dynamique. Reprendre planche par planche la BD serait terriblement barbant. Adapter, c’est réinterpréter. C’est ainsi que je perçois mon métier quand je m’attaque à un film ou à une série. C’est un travail d’appropriation. Pour bien adapter une œuvre, il ne faut pas la respecter, il faut l’aimer.

Les jeux-vidéo peuvent-ils être une source d’inspiration ?

Totalement ! Je l’ai fait pour le cinéma avec le film «Rampage : hors de contrôle» (sorti le 2 mai 2018 en France). «Rampage» était une borne d’arcade culte des années 80 où le joueur incarnait trois monstres géants. Il avait pour mission de détruire un maximum d’immeubles en résistant à l’armée et en dévorant quelques passants. Pour le cinéma, nous avons mis en scène un primatologue (Dwayne Johnson) et un gorille géant qui défendent Chicago contre un groupe d’animaux monstrueux. Il était donc impossible de faire une adaptation littérale d’un jeu vidéo. Nous avons conservé ce qui fait son succès (les monstres géants et les destructions) tout en prenant l’histoire à son compte. «Rampage» était un jeu simple, au récit réduit au mimimum, ce qui a rendu son adaptation plus simple, puisque tout ou presque était à inventer. Il faut aussi faire une croix sur l’interactivité, admettre qu’un film ne peut pas exploiter cette sensation de contrôle qu’a le joueur, mais peut la remplacer par un spectacle bien plus impressionnant, plus surprenant, dans lequel il pourra s’abandonner.

Vous avez notamment acquis votre notoriété en tant que scénariste et producteur sur «Lost : Les Disparus». Vous avez aussi officié en tant que scénariste pour «Bates Motel»…

Je me rappelle, c’était un projet périlleux qui a débuté en 2013 ! Raconter l’adolescence de Norman Bates, le héros de «Psychose» d’Alfred Hitchcock, était un pari osé. Je ne pouvais pas rester dans l’ombre imposante de cet immense classique. Il fallait que je fasse un pas de côté. J’ai donc décidé non seulement de déplacer le récit de nos jours, mais surtout de me pencher sur les années de formation de Norman et sa relation avec sa mère Norma. C’est un des personnages les plus célèbres de l’histoire du cinéma, mais on ne sait rien d’elle. On l’imagine responsable de la monstruosité de son fils. La série «Bates Motel» se demande au contraire si elle n’aurait pas pu être une mère aimante, qui fait son possible pour éviter qu’il ne devienne un psychopathe.