Cuba : la presse en ligne brave le monopole étatique

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Ils s’appellent Abraham, José ou Elaine. Agés d’à peine 30 ans, ils ont réussi l’impensable à Cuba : créer des sites d’information indépendants qui bravent le monopole étatique imposé aux médias depuis un demi-siècle. Le point de départ de cette petite révolution dans le panorama médiatique cubain a été l’ouverture de la toile au grand public en 2013, suivie de l’installation progressive de 200 bornes wifi à travers ce pays de 11,2 millions d’habitants. Aujourd’hui, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) recense quelque 3.000 blogs consacrés à Cuba et une poignée de revues indépendantes. Elles s’appellent «El Estornudo», «Periodismo de Barrio», «El Toque» ou «OnCuba». Point commun de ces publications en ligne : des rédactions jeunes et établies sur l’île. Certains journalistes sont même issus de la Faculté de communication de La Havane, vivier traditionnel des médias d’Etat et du quotidien du parti communiste Granma. «Sortis des amphithéâtres (…) nous étions d’une certaine manière sans logis, dans le sens où (…) le discours de la presse d’Etat est très éloigné de la réalité cubaine», raconte Abraham Jimenez Enoa, 27 ans et directeur d’«El Estornudo». La rédaction de ce site créé en mars peine à joindre les 2 bouts. Les annonceurs ne se bousculent pas et l’heure de connexion publique coûte 2 dollars minimum pour ceux qui ne font pas partie des 5% de privilégiés disposant d’internet à domicile. «L’accès à internet est très cher, on n’a pas de bureau, on n’a rien», explique Abraham, précisant que la mise en ligne des articles et photos s’effectue de l’étranger après envoi par courriel. «Privés de l’aide économique de l’Etat, nous devons trouver d’autres formes de gestion économique. Certains ont recours à la publicité, au paiement pour un contenu ou un service, à des accords avec d’autres médias ou ONG, ou au financement collectif», détaille Elaine Diaz, 30 ans et directrice de «Periodismo de Barrio». Parfois, comme à l’«Estornudo», certains exercent des petits boulots pour survivre… Le prix à payer pour réaliser son rêve de journaliste indépendant à Cuba. Pages d’accueil modernes et épurées, photos pleine page, écriture soignée et reportages davantage portés sur le magazine que le «news»: ces revues se targuent de relater sans fard le quotidien des Cubains. Mais contrairement au précurseur «14yMedio» créé en 2014 par la journaliste-dissidente Yoani Sanchez ou à d’autres portails indépendants publiés en Espagne («Diario de Cuba») ou à Miami («Cubanet», «CiberCuba»), ces nouveaux médias refusent la confrontation avec les autorités. Nous présentons «des points de vue très honnêtes, issus d’expériences de vie et qui ne répondent pas aux visions belliqueuses des extrêmes», détaille Jose Jasan Nieves Cardenas, 28 ans et coordinateur éditorial du modéré «El Toque». Les autorités, qui bloquent l’accès aux principaux portails dissidents, tolèrent ces nouveaux sites mais un début de riposte se fait sentir dans les médias d’Etat et les réseaux sociaux. Le blogueur officiel Iroel Sanchez a notamment condamné plusieurs fois dans Granma l’irruption d’«une pratique journalistique tendancieuse», alors que les autorités commencent à montrer les dents face à ces médias sans véritable statut. En septembre, un reporter d’une radio de Sagua la Grande a été renvoyé pour avoir collaboré avec des revues indépendantes, et plus récemment Elaine Diaz a été refoulée avec son équipe de la zone frappée par l’ouragan Matthew faute d’autorisation officielle. «La loi reconnaît seulement l’existence des médias d’Etat et internationaux accrédités (…) «Periodismo de Barrio» se situe à la marge de ces groupes», regrette Mme Diaz. Pour l’heure, ces nouveaux médias sont toutefois encore loin de représenter une véritable menace pour les autorités, que ce soit par leur ton ou leur audience. A Cuba, seule une infime partie de la population se connecte régulièrement à internet. Et pour celle-ci, lire la presse indépendante ne constitue généralement pas une priorité.