Edward BORDER, Directeur de Recherche chez Ampere Analysis

600

La SVoD se développe partout dans le monde. Mais l’adoption de la SVoD en France est freinée par le manque de contenu local. Tel est le résultat d’une étude réalisée par le cabinet Britannique Ampere Analysis. L’occasion pour Média + de rencontrer Edward BORDER, Directeur de Recherche chez Ampere Analysis.

MEDIA +

L’adoption de la SVoD semble être plus lente en France que par rapport aux autres marchés internationaux et européens. Pouvez-vous l’expliquer ?

EDWARD BORDER

Comparée à l’échelle mondiale, l’adoption de la SVoD française n’est pas si faible. C’est par rapport à d’autres marchés européens similaires (et aussi par rapport à l’Amérique du Nord) que c’est plus flagrant. Il y a plusieurs raisons pertinentes à cela. Premièrement, la règlementation pour les films en France impose que les contenus diffusés en salles ne peuvent atteindre les plateformes SVoD que 36 mois après leur sortie. Deuxièmement, le coût moyen à l’accès à la télévision est relativement bas. Enfin, la France a une vitesse moyenne du haut débit inférieure à celle des pays européens qui ont connu une plus forte adoption de la SVoD.

MEDIA +

Y a-t-il beaucoup de Français qui utilisent la SVoD ? Pourquoi ?

EDWARD BORDER

Au 1er trimestre 2018, il y a un peu plus de 4,6 millions d’abonnements SVoD en France, soit environ 15 abonnements pour 100 ménages. D’après une enquête Ampere réalisée auprès de 2.000 consommateurs français au premier trimestre 2018, nous avons constaté que parmi tous les utilisateurs de SVoD, les facteurs clés de motivation étaient le contenu, la facilité d’utilisation et la possibilité de regarder plusieurs épisodes consécutifs. Les données brutes pour cela étaient : 80% identifiés comme des fans de cinéma/film, 73% comme fans d’émissions de télévision, 74% accrocs à des sessions intenses de visionnage d’épisodes de séries, tandis que 72% indiquent qu’ils apprécient le fait de pouvoir regarder du contenu à la demande, à tout moment.

MEDIA +

Votre dernière étude sur différents catalogues SVoD montre que les abonnés français ont accès à un plus petit nombre de contenus que les abonnés d’autres pays. Comment expliquer cela ?

EDWARD BORDER

Ampere a observé que les lancements SVoD dans la plupart des pays se construisent initialement autour d’une petite bibliothèque de base de 1.000 à 2.000 titres, des investissements supplémentaires sont souvent liés dans un deuxième temps à la croissance de la plate-forme dans le pays. L’adoption relativement lente des services de SVoD en France a dissuadé certains acteurs de réaliser des investissements plus importants, ce qui se traduit par une offre réduite. En outre, les lois strictes sur la disponibilité des films sur SVoD (36 mois après leur sortie en salle en France) signifient qu’il n’est pas possible d’acquérir de grands catalogues de films récents pour stimuler l’adoption, et que le retour sur investissement de l’acquisition de films en France est faible pour les fournisseurs de SVOD.

MEDIA +

Pourquoi y-a-t-il si peu de contenus «made in France» disponibles sur les catalogues SVoD français ?

EDWARD BORDER

Pour une plate-forme internationale, telle que Netflix ou Amazon, le contenu en langue anglaise a souvent un meilleur attrait international, car le public a l’habitude de regarder des émissions anglaises ou américaines doublées ou sous-titrées. En revanche, les émissions en langue française ont une audience limitée en dehors de la France. Pour les opérateurs locaux, la situation est plus complexe. Canal Play a en effet un pourcentage assez important de son contenu produit en France (30%), mais possède un catalogue beaucoup plus petit que les autres acteurs d’environ 20% de la taille de Netflix, donc le volume total de contenu local reste faible.

MEDIA +

L’offre Amazon est moins riche en France que l’offre Netflix. Comment expliquez-vous cette différence ?

EDWARD BORDER

Dans le cas de Netflix, il y a plusieurs raisons. Premièrement, Netflix a eu plus de temps pour développer ses offres de catalogue en Europe de l’Ouest. Netflix a eu plus de temps pour développer ses droits pan-régionaux au sein de l’Europe . Par exemple, en avril 2018, plus de 70% du contenu sur Netflix France était également sur Netflix Allemagne, ce chiffre était de 41% à l’été 2015. Deuxièmement, Netflix dispose d’un plus grand nombre de productions de marque originale, disponibles dans presque tous les marchés où Netflix est présent. En avril 2018, il y a un peu moins de 800 films «originaux» disponibles sur Netflix France et ces titres seront généralement disponibles sur d’autres marchés. L’offre Amazon est différente. Amazon n’est disponible en France que depuis la fin 2016, ce qui a donné à Netflix une avance de 2 ans ½ dans le pays, et n’a donc pas eu autant de temps pour conclure des accords de contenu au niveau national ou régional dans la région. Cependant, le service Amazon Prime Video fonctionne depuis bien plus longtemps sur des marchés tels que les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne, ce qui signifie que ces territoires ont accès à une plus grande variété de contenus via le service Prime. Malgré cela, Amazon a déjà établi une forte base d’abonnés Prime en France grâce à son service Amazon Prime (qui inclut d’autres avantages tels qu’une livraison plus rapide). Il a inclus le service Amazon Prime Video dans le cadre de cet abonnement annuel et connaît une croissance très similaire à celle de Netflix.

MEDIA +

Pensez-vous que la SVoD va devenir importante en France ?

EDWARD BORDER

Oui, nous pensons que la SVoD deviendra une part de plus en plus importante du paysage français. Par exemple, au cours des 5 prochaines années, nous prévoyons que les abonnements à la SVoD seront augmentés à 25 abonnements pour 100 foyers en France, ce qui en ferait une part importante des habitudes de consommation de millions de consommateurs. Par ailleurs, Netflix comptera presque autant d’abonnés à la fin de cette période (5 ans) que certains des principaux acteurs de la tv payante française, tels que Numericable-SFR ou Bouygues. Cependant, il est important de mentionner que si la France a un taux d’absorption Netflix raisonnable, si nous la comparons au contexte plus large de l’Europe de l’Ouest, la courbe d’adoption reste relativement lente. Par exemple, des pays comme le Royaume-Uni, l’Allemagne et les pays scandinaves devraient posséder plus de 50% de foyers disposant d’un service de SVOD dans les cinq prochaines années. Pour aller plus loin, au Royaume-Uni et au Danemark, le nombre d’abonnés SVOD dépassera le nombre d’abonnés à la tv payante d’ici 2019.