F. LE BORGNE (IDATE) : «Netflix est à l’heure actuelle le premier investisseur en valeur totale dans les contenus audiovisuels»

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Chaque année, le DigiWorld Summit est le rendez-vous des acteurs du numérique. A partir des analyses des experts de l’IDATE, ils confrontent leurs visions sur notre monde numérique et ses enjeux. Rencontre avec Florence LE BORGNE, Responsable de la Practice «TV & contenus numériques» à l’IDATE qui nous explique l’impact de la circulation des contenus audiovisuels dans le monde ainsi que le positionnement d’un acteur majeur comme Netflix.

média+ : La Commission Européenne appelle l’industrie audiovisuelle à faciliter la diffusion en ligne à l’étranger des contenus audiovisuels. Cela semble provoquer quelques remous…

Florence LE BORGNE : À travers toutes les discussions autour de la Commission Européenne, on observe en effet une certaine cristallisation de l’industrie à ce sujet. Cela donne l’impression que la Commission s’est engagée dans une voie avec des intentions louables pour permettre au consommateur d’accéder partout, en tout lieu, sur tous les coins du territoire, au contenu, que ce soit dans son pays d’origine ou dans les autres territoires auxquels les consommateurs n’ont pas traditionnellement accès. D’autre part, l’industrie souligne assez collectivement que l’on est en train de proposer des mesures qui risquent de mettre à mal l’ensemble du secteur, de la production à l’édition en passant par la distribution de ces mêmes contenus. La divergence semble marquée entre, d’une part, une autorité qui a vocation à créer des règles pour le fonctionnement d’un marché commun et de, l’autre côté, une industrie qui a vocation a jouer avec ces règles avec méfiance. Le problème sous-jacent est celui de l’exclusivité des droits et de leur valeur. La Commissions Européenne s’axe sur le consommateur final et sur son droit légitime à pouvoir accéder à tous les contenus et services. Il s’avère que la demande du consommateur final est loin d’être avéré. Au final, les gens veulent essentiellement du contenu national ou du contenu international localisé.

média+ : Comment se positionne alors un acteur comme Netflix qui a totalement changé les règles du jeu dans la circulation de ses contenus ?

Florence LE BORGNE : Même en étant présent dans pratiquement tous les pays à l’échelle mondiale, Netflix ne propose pas le même service partout. Dès lors que vous voyagez, Netflix vous connecte à son service mais uniquement à sa version locale. A titre d’illustration, si vous êtes un abonné français qui va en Allemagne, vous aurez accès au Netflix allemand. En fonction des éventuels droits qui ont pu être cédés à des chaînes locales ou à d’autres services locaux, vous retrouverez notamment certaines des séries américaines que vous avez en France.

média+ : Le pouvoir de Netflix, c’est sa force d’investissement ?

Florence LE BORGNE : Netflix est à l’heure actuelle le premier investisseur en valeur totale dans les contenus audiovisuels avec près de 6,5 milliards d’euros investis cette année contre 5,7 milliards l’année dernière. C’est colossal. Même de gros investisseurs comme Sky au niveau européen, ne sont pas capables d’aligner des sommes pareils. Netflix produit pour le monde entier quand les acteurs européens investissent pour éventuellement 1, 2 ou 3 pays. Netflix, qui bénéficie d’une assez forte notoriété, ressent tout de même le besoin de localiser son service en mettant du contenu du pays où il est présent, et en l’adaptant ne serait-ce que d’un point de vue linguistique (doublage, sous-titrage).

média+ : Les acteurs audiovisuels européens doivent-ils s’inspirer du modèle de Netflix ?

Florence LE BORGNE : Comme tous les acteurs audiovisuels américains tels que Disney ou HBO, Netflix s’appuie à la base sur son marché national. Ils s’adressent au premier marché mondial en valeur et sont capables ainsi de le rentabiliser sur ce seul marché. Il est donc plus facile en ayant cet appui d’aller ensuite vers l’exportation. Les consommateurs sont prêts à payer très lourdement. Globalement, l’abonnement TV moyen aux Etats-Unis est de 70 dollars/mois, si ce n’est plus. Cette base d’abonnés qui sont prêts à payer extrêmement cher pour accéder à du contenu audiovisuel est importante. Ce n’est pas du tout le cas des consommateurs français.

média+ : Comment l’audiovisuel européen peut-il tirer sa carte du jeu ?

Florence LE BORGNE : Si nous devions produire des séries avec les mêmes montants que les productions américaines, ce ne serait quasiment pas rentable sur un seul pays européen. Cela ne peut fonctionner que par un système d’alliances, d’associations, de partenariats en mettant ensemble des acteurs qui vont cofinancer une même œuvre. Les créations originales que lance CANAL+ commencent à s’exporter. Ce sont souvent des coproductions montées avec des acteurs étrangers. Si on veut rivaliser face à de gros acteurs américains qui ont la capacité à adresser la planète entière, il faut parvenir à regrouper de gros acteurs européens pour qu’ils travaillent ensemble.

média+ : L’opportunité passe donc par les coproductions internationales ?

Florence LE BORGNE : Exactement Il faut souligner les efforts faits par un certain nombre de pays comme la France ou la Grande Bretagne qui ont élevé leur niveau d’investissement dans les séries télé. La qualité a progressé, des œuvres circulent mieux et des projets d’envergure peuvent voir le jour.