France TV/ Bygmalion: le procès des contrats douteux suspendu

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«C’est assez désolant…» La présidente a protesté, mais elle n’a eu d’autre choix lundi que de suspendre au bout d’une heure le procès des contrats douteux entre France Télévisions et Bygmalion, pour tenir compte d’une question de la défense. Le tribunal correctionnel de Paris reprendra mercredi l’examen des juteuses commandes passées en 2008 et 2009 par le groupe de télévision public à Bygmalion, la société de communication dont le nom est aussi associé au scandale des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy en 2012. 

Au total, Bygmalion a facturé près de 1,5 million d’euros à France Télévisions. Pour l’accusation, ces contrats sont autant de petits services rendus entre amis. Les amis, ce sont d’un côté l’ancien patron de France Télévisions Patrick de Carolis et l’ancien secrétaire général du groupe Camille Pascal, poursuivis pour «favoritisme». 

Et de l’autre Bastien Millot, cofondateur et ancien dirigeant de Bygmalion, qui comparaît pour recel. Son avocate, Florence Rault, a soumis lundi au tribunal une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) mettant en cause la légalité des poursuites, à la dernière minute. Non sans protester contre cette manoeuvre jugée «assez désolante», mais parfaitement légale, la présidente a dû suspendre l’audience, pour laisser au procureur comme aux parties civiles le temps de préparer leur réplique. Lorsqu’il fonde en 2008 la société au nom désormais sulfureux, M. Millot fait partie depuis trois ans de la garde rapprochée du PDG de France Télévisions, en charge de la communication et de la stratégie. Selon l’accusation, il continue à faire la même chose via Bygmalion, en facturant des sommes rondelettes au groupe public: 6.000 euros par mois pour traiter le courrier des téléspectateurs, 7.500 euros par mois pour faire de la veille internet, 5.500 euros par mois pour préparer des «éléments de langage». 

Ces contrats sont signés sans ouverture à la concurrence, ce qui est contraire aux obligations du groupe public qu’est France Télévisions et fonde l’accusation de «favoritisme». Pour la défense de M. Millot, ces contrats ne relèvent pas de la commande publique, mais sont des transactions privées. Les poursuites n’auraient donc pas lieu d’être. C’est pourquoi Me Rault a posé une QPC, une arme très prisée des avocats dans les procès financiers – celui de l’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac, pour fraude fiscale, a ainsi été retardé de plusieurs mois. Le tribunal peut rejeter cette question ou la transmettre à la Cour de cassation. Dans cette dernière hypothèse, la plus haute juridiction française décide ou non de saisir le Conseil constitutionnel, lequel a le dernier mot. Pour Pierre-Olivier Lambert, avocat du Syndicat national des personnels de la communication et de l’audiovisuel CFE-CGC, par lequel l’affaire a éclaté, cette «manoeuvre dilatoire» vise à «grignoter du temps d’audience au détriment de l’examen du fond». Le procès doit durer deux semaines, à raison de trois demi-journées par semaine.