Huawei: la justice américaine a fait dérailler l’offensive de charme du géant chinois des télécoms

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Huawei ne ménageait pas ses efforts pour soigner son image, vantant ses dépenses dans la recherche et ses progrès comme pionnier de la 5G. Mais les accusations de la justice américaine, qui impliquent jusqu’à ses dirigeants, ont fait dérailler l’offensive de charme du géant chinois des télécoms. Mi-janvier, le très discret fondateur de Huawei, RenZhengfei, sortait de l’ombre: dans un rarissime entretien aux médias, il démentait de nouveau que son groupe puisse espionner ses clients pour le compte de Pékin… avant de tresser des lauriers au président américain Donald Trump. Il s’agissait de rassurer: la semaine précédente, l’arrestation en Pologne d’un employé chinois de Huawei pour espionnage était venue alimenter les suspicions visant les équipements télécoms du groupe dans plusieurs pays, Etats-Unis et Australie en tête. Mais Washington a porté lundi un nouveau coup dur au fleuron technologique chinois, avec des chefs d’inculpation aussi détaillés qu’accablants dévoilés par le ministère américain de la Justice, qui pointent des responsabilités «jusqu’à la direction» du groupe… Même si ces inculpations ne font pas état de cyberespionnage ni de failles de cybersécurité, elles sont de nature à ternir durablement la réputation de Huawei, tout en renforçant l’argumentaire de Washington pour isoler le groupe, observe Paul Triolo, expert de politique technologique du cabinet Eurasia Group. «Ces efforts judiciaires américains semblent conçus pour convaincre les pays alliés (…) que, bien qu’il n’y ait pas encore de preuve flagrante sur la cybersécurité, il existe un ensemble de pratiques commerciales, culturelles et légales qui assombrissent l’avenir de cette entreprise», insiste-t-il. D’une part, les chefs d’inculpation dévoilés lundi accusent Huawei de violations des sanctions américaines contre l’Iran. Pour son implication présumée, la directrice financière Meng Wanzhou, la propre fille de M. Ren, a été arrêtée au Canada en décembre à la demande des enquêteurs américains. Selon eux, Mme Meng a «menti de façon répétée» aux banques, et Huawei n’a pas hésité à détruire des preuves et à déplacer des employés et témoins potentiels hors d’atteinte de la justice américaine. Huawei dément vigoureusement ces accusations. RenZhengfei avait par ailleurs assuré mi-janvier que son entreprise était «fermement opposée à toute violation des lois et réglementations», promettant un système «très rigoureux» de punition des infractions. Mais les documents judiciaires publiés lundi bousculent ces engagements, en mettant en cause M. Ren en personne: l’ex-ingénieur de l’armée chinoise, interrogé en 2007 par des agents du FBI, leur aurait ainsi assuré «à tort» que son entreprise n’a jamais été en relation directe avec une société iranienne. Parallèlement, 2 filiales de Huawei ont été inculpées lundi d’association de malfaiteurs en vue de dérober des secrets industriels – en l’occurrence ceux de l’américain T-Mobile. Plus accablant encore: Huawei aurait délibérément appliqué un système de primes pour encourager sciemment le vol de secrets technologiques d’entreprises rivales… De quoi inciter le parlementaire américain Chris Smith, membre Républicain de la Chambre des représentants, à exiger un durcissement de l’attitude des Etats-Unis. «Huawei est de façon effective une branche du gouvernement chinois et travaille sans relâche pour le compte du Parti communiste chinois, en vue d’accaparer le marché mondial sur des technologies cruciales», s’est-il indigné. «Les épées de Damoclès au-dessus du groupe apparaissent clairement», observe Paul Triolo: Huawei pourrait écoper de lourdes amendes, d’interdictions de voyager visant ces dirigeants, ou encore être officiellement taxé de «menace à la sécurité nationale des Etats-Unis» – ce qui aurait des répercussions dévastatrices pour ses affaires ailleurs dans le monde.