Ken Loach, un vieil habitué de la Croisette

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Le réalisateur britannique Ken Loach, récompensé dimanche par la Palme d’Or pour son dernier film à la fibre sociale, «Moi, Daniel Blake», est un vieil habitué de la Croisette où il a remporté la Palme d’or en 2006 pour «Le vent se lève». Avec une rage intacte, à près de 80 ans, le cinéaste dénonce dans ce film la casse du système social, vue par les yeux d’un chômeur.  Dimanche, il a profité de sa Palme pour marteler une nouvelle fois ses convictions: «Ce monde dans lequel nous vivons se trouve dans une situation dangereuse», a-t-il affirmé en recevant son prix, jugeant que les idées néo-libérales risquaient «de nous amener à la catastrophe». «Le cinéma est porteur de nombreuses traditions. L’une d’entre elles est de représenter un cinéma de protestation, un cinéma qui met en avant le peuple contre les puissants. Et ce que j’espère, c’est que cette tradition se maintienne», a-t-il ajouté. «Moi, Daniel Blake» décrit la descente aux enfers d’un menuisier de 59 ans, bon ouvrier mais contraint d’arrêter de travailler après une crise cardiaque. Le film suit son parcours ubuesque entre convocations à l’agence pour l’emploi, questionnaire sans fin sur sa santé et ateliers de formation au CV, obligatoires sous peine de réduction de son allocation.Outre la Palme d’or, le cinéaste engagé a souvent été récompensé à Cannes qui lui a attribué trois Prix du Jury pour «La part des anges» (2012), «Raining stones» (1993) et «Hidden agenda» (1990), un prix du scénario pour «Sweet sixteen» (2002) et un prix ex-aequo du cinéma contemporain pour «Regards et sourires» (1981).Ce spécialiste du cinéma social s’était déjà intéressé en 1991 avec «Riff raff», aux travailleurs précaires de Londres. Dans «Bread and roses» (2000), il décrit une grève du personnel de nettoyage d’un hôtel de Los Angeles et dans «The Navigators» (2001) les conditions de travail des cheminots anglais à l’heure de la privatisation des chemins de fer. Réalisateur de plus d’une trentaine de films, il a fondé la vague néo-réaliste britannique avec Mike Leigh et Stephen Frears. Né le 17 juin 1936 à Nuneaton, près de Birmingham, ce fils d’un électricien et d’une couturière fait son service militaire dans la Royal Air Force puis étudie le droit à Oxford où il découvre aussi la mise en scène et le jeu d’acteur au théâtre. En 1961, il entre à la chaîne de télévision ABC puis à la BBC 2 ans plus tard, où il réalise ses premiers téléfilms déjà marqués par son militantisme d’extrême gauche.

Héritier de Zola et de Dickens, il dit «aimer le cinéma parce qu’il permet de s’approcher des gens, de les voir vivre». Avec, depuis plus de 20 ans, Paul Laverty au scénario et Rebecca O’Brien à la production, Ken Loach brosse aussi bien le portrait d’un adolescent sans le sou, prêt à tout pour reconstruire sa famille («Sweet sixteen») que d’un ancien alcoolique dans un quartier difficile de Glasgow («My name is Joe»). Le Britannique aime aussi plonger dans l’Histoire, traitant de la guerre d’Espagne dans «Land and freedom» (1995), du Nicaragua sandiniste dans «Carla’s song» (1995), de la guerre d’indépendance irlandaise dans «Le vent se lève» (2006) ou du parcours d’un leader communiste irlandais dans «Jimmy’s Hall» (2014). Il se laisse également aller à la comédie avec en 2009 «Looking for Eric», dans laquelle un postier dépressif s’adresse à son idole Eric Cantona, qui joue son propre rôle, et «La part des anges» qui raconte la débrouille d’une bande de délinquants à Glasgow. Très engagé, il a dénoncé la guerre en Irak, a apporté son soutien au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) français et a cofondé en 2013 au Royaume-Uni «Left Unity», un parti politique de gauche qui milite pour le plein emploi et contre les politiques d’austérité.  Marié en 1962, il a eu 5 enfants, dont l’un est décédé dans un accident de voiture, et partage sa vie entre sa maison de production Sixteen Films à Londres et Bath où il vit en famille.