L. GRANDSIRE (ACCeS) : «Toute rémunération des chaînes gratuites par les opérateurs est de nature à fragiliser l’économie des chaînes payantes»

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Dans le bras de fer qui oppose TF1 aux opérateurs de télévision payante pour obtenir une rémunération pour ses chaînes en clair, les membres de l’ACCeS (Association des chaînes conventionnées éditrices de services) considèrent toute rémunération des chaînes gratuites par les opérateurs injustifiée et de nature à fragiliser l’économie des chaînes payantes, et tout le système de financement de l’audiovisuel et de la création en particulier. Entretien avec Léonor GRANDSIRE, Vice-Présidente de l’ACCeS.

MEDIA +

Pour l’ACCeS, la rémunération des chaînes gratuites par les opérateurs met en péril l’équilibre économique des chaînes payantes. Pouvez-vous nous en dire plus?

LÉONORE GRANDSIRE

Les chaînes payantes fonctionnent sur un modèle économique qui s’appuie sur des revenus issus principalement des opérateurs et dans une moindre mesure de la publicité. Aujourd’hui, on se retrouve dans une situation où les chaînes payantes devraient partager leurs revenus avec des chaînes gratuites. Cela nous pose un problème de modèle économique. Le budget «contenu» des opérateurs n’étant pas extensible, rémunérer les chaînes gratuites aura pour conséquence directe d’appauvrir les chaînes payantes dont le financement repose à 75% sur les recettes de rémunération.

MEDIA +

Le budget «contenu» des opérateurs n’est donc pas extensible selon vous…

LÉONORE GRANDSIRE

Les budgets des opérateurs sont assez limités. Ils le répartissent en fonction de la valeur des chaînes payantes. Aujourd’hui, ces budgets n’ont pas vocation à payer les chaînes disponibles gratuitement. Les opérateurs se servent de leur budget pour valoriser leurs offres et légitimer le paiement réalisé par les abonnés.

MEDIA +

Que les chaînes gratuites amputent la part d’investissement que les opérateurs réservent aux chaînes payantes, c’est votre plus grosse crainte ?

LÉONORE GRANDSIRE

C’est exact ! Les chaînes payantes seraient directement impactées dans la diversité de l’offre qu’elles apportent ainsi que dans leurs investissements pour la création. Ces derniers seraient à nouveau fragilisés (45M€ investis en 2016). Avec le développement de la TNT en 2005 puis en 2012, les chaînes de compléments avaient déjà vu leurs revenus publicitaires très largement déportés sur les nouvelles chaînes de la TNT. Le paysage audiovisuel a été quelque peu reconfiguré. Aujourd’hui, nous nous retrouvons dans une situation où les chaînes gratuites demandent à être rémunérées pour être distribuées alors qu’elles sont accessibles gratuitement. Pour autant, nous sommes plutôt favorables à ce que les chaînes gratuites commercialisent leurs services additionnels auprès des opérateurs.

MEDIA +

Comprenez-vous le positionnement du Groupe TF1 ? 

LÉONORE GRANDSIRE

Je comprends que TF1 et les autres éditeurs gratuits aient envie d’augmenter leurs revenus. Pour autant, l’abonné ne va pas payer pour accéder à des chaînes gratuites. Les revenus des opérateurs sont destinés à acheter et à construire des offres pour lesquelles les abonnés sont prêts à payer. Si une partie de ce revenu est alloué à du contenu gratuit, cela perd de son sens.

MEDIA +

D’autant que les chaînes payantes sont concurrencées par les acteurs de la SVOD…

LÉONORE GRANDSIRE

Avec le développement de tous ces nouveaux services de vidéo à la demande, la première vertu est d’avoir petit à petit généralisé le payant auprès des plus jeunes consommateurs. Les téléspectateurs prennent l’habitude alors de payer pour voir des séries en entier, consommer du contenu à la demande de manière qualitative et agréable. C’est aux chaînes payantes d’innover, de développer des services à la demande additionnels, d’avoir une identité éditoriale attractive et de créer de l’attachement entre leur chaîne et leur univers.

MEDIA +

Les chaînes payantes ont donc plus que jamais une légitimité parmi l’offre en place ?

LÉONORE GRANDSIRE

Les chaînes thématiques offrent l’opportunité d’avoir des propositions très variées, destinées à des cibles précises. Et si demain, certaines venaient à disparaître, on perdrait alors de la diversité au profit de grosses chaînes généralistes cherchant à tout prix l’audience. Il nous semble que cette offre complémentaire des chaînes thématiques a du sens pour le public. Elle a aussi sa place dans l’industrie pour les jeunes producteurs et les jeunes réalisateurs qui veulent s’essayer dans des contextes un peu moins exposés. Cela permet l’émergence de talents et la satisfaction d’un certain public. Nous sommes toujours prêts à accueillir les concurrents. Il est sain d’être challengé par de nouveaux acteurs. En revanche, que des chaînes gratuites viennent sur notre terrain pour ponctionner nos revenus, cela ne nous semble pas normal.

MEDIA +

Les acteurs de la SVOD ont-ils impacté l’audience des chaînes payantes ?

LÉONORE GRANDSIRE

C’est difficile à dire. Personne ne communique réellement sur les audiences des programmes en SVOD. Leur déploiement a dû absorber une partie du temps disponible des téléspectateurs. Mais il y a une certaine stabilité de la consommation sur les chaînes payantes d’autant que ces dernières développent aussi du contenu à la demande.