L’Azerbaïdjan qualifié de dictature: une information «vérifiée» et «survérifié», selon Elise Lucet

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«Quand nous affirmons certaines choses, c’est que nous avons vérifié et «survérifié»»: la journaliste Élise Lucet, poursuivie pour diffamation par l’Azerbaïdjan pour avoir qualifié dans son émission cet État du Causace de «dictature», a affirmé mardi que «chaque mot» avait été «pesé» avant sa diffusion. Dans «Cash Investigation», diffusé sur France 2 le 7 septembre 2015, la journaliste avait introduit un reportage, axé sur les coulisses des voyages présidentiels de François Hollande et largement consacré à l’Azerbaïdjan, en présentant le régime azerbaïdjanais comme une «dictature, l’une des plus féroces au monde». Évoquant le même jour sur France Info ce reportage intitulé «Mon président est en voyage d’affaires» et dont il est l’auteur, le journaliste d’investigation Laurent Richard – également poursuivi dans cette affaire tout comme la présidente de France Télévisions – taxait également le président azerbaïdjanais Ilham Aliev de «dictateur» et de «despote». «Quand on est journaliste, on ne peut dire et décrire que la vérité», a estimé Élise Lucet devant le tribunal correctionnel de Nanterre. «Et dire que l’Azerbaïdjan est une dictature n’est pas une opinion. «Cash Investigation» n’est pas une émission d’opinion, mais d’investigation», a-t-elle affirmé, soulignant que la préparation du reportage avait pris «un an». La présentatrice s’est surtout étonnée du fait que les autorités de Bakou ont porté plainte uniquement sur des propos liminaires et non sur le contenu du reportage lui-même qui est pourtant «le développement de ces propos». Leur «stratégie», c’est de se focaliser «sur un mot et de ne surtout pas débattre de faits précis», a estimé Laurent Richard, qui a lui-même été arrêté à l’issue de son reportage, officiellement pour «excédent de bagage». L’Élysée, a-t-il rappelé, avait dû intervenir pour sa libération. Les témoins cités par la partie civile se sont évertués à décrire une démocratie jeune, encore en transition. «L’Azerbaïdjan est de plus en plus aux antipodes de ce qu’on appelle une dictature», a insisté un universitaire français. Ça n’était manifestement pas l’opinion d’un couple de militants des droits de l’Homme et d’un journaliste azerbaïdjanais, venus témoigner à la barre de leur passage dans les geôles du régime et des tortures qu’ils y ont subies. «Il n’y a plus de journaux libres en Azerbaïdjan», a affirmé ce dernier, aujourd’hui réfugié politique en France, dont le journal indépendant a dû récemment fermer. L’organisation Reporters sans frontières (RSF) a déclaré à la barre que «la liberté de la presse n’avait cessé de se dégrader depuis ces 45 dernières années». Au moins 16 journalistes, blogueurs et collaborateurs de médias sont actuellement emprisonnés en Azerbaïdjan, toujours pour des «prétextes» fallacieux, a noté Johann Bihr, référent Asie Centrale de RSF. L’Azerbaïdjan occupe la 162e place sur 180 selon le dernier classement de la liberté de la presse établi par son organisation. Sur un plan strictement juridique, la défense a demandé l’irrecevabilité de la procédure intentée contre France TV et les 2 journalistes. «Ne laissez pas entrer les dictatures dans les tribunaux français!», a exhorté Me Jean Castelain, avocat d’Elise Lucet et de la présidente de France TV. «Un Etat souverain est le contraire d’un particulier» et ne peut donc poursuivre en diffamation, a abondé le procureur dans ses réquisitions, s’appuyant sur l’article 32 du Code de procédure pénale et sur un «début de jurisprudence» de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris.Si l’Azerbaïdjan devait être déclaré irrecevable, ce serait un «déni de justice», a rétorqué Me Olivier Pardo, avocat de l’Etat caucasien, qui a estimé l’enquête de «Cash Investigation» «pas sérieuse» et dénoncé une «absence de modération dans les propos» des journalistes. Il a réclamé un euro de dommages et intérêts. Délibéré le 7 novembre.