Le débat politique englouti dans le flot des «fake news»

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Politiques et experts s’inquiètent de l’avenir du débat politique en France, englouti dans le flot des «fake news» et fragilisé par une confusion entre faits et interprétation, sur lesquels élus ou candidats s’empoignent au détriment d’échanges sur le fond. «Quand on ne part pas de faits communs, il n’y a pas de débat politique», estimait récemment la tête de liste des Républicains pour les élections européennes, François-Xavier Bellamy. Emmanuel Macron s’est dit lui jeudi, devant quelques journalistes, «inquiet du statut de l’information et de la vérité», suggérant une forme de subvention publique dédiée à la vérification de l’information, après avoir déjà fait voter une loi controversée pour lutter contre les «fake news». Le risque est de réduire le débat à la portion congrue. «On passe plus de temps à rétablir la vérité qu’à débattre sur le fond», déplore-t-on au parti présidentiel La République en Marche (LREM), qui dispose d’une page «désintox» sur son site. La députée LREM Anne-Laure Cattelot raconte qu’elle passe son «temps à éteindre le feu des «fausses informations» du Rassemblement national (RN)». Cette représentante du Nord, avec la députée du Gard Françoise Dumas, toutes les deux élues dans des bastions du RN, ont été chargées par LREM de piloter une «task force» de réponses politiques au parti d’extrême droite. «Je reçois des lettres de gens qui accusent les migrants d’avoir un meilleur accès aux services et aux aides. Alors j’explique à chacun, par un courrier, que «non». Et c’est déjà bien qu’ils me demandent mon avis», relate Mme Cattelot. «L’information objective aux yeux des gens n’existe plus. Et les réseaux sociaux encouragent un resserrement idéologique», selon elle. Le changement d’algorithme de Facebook début 2018 a contribué à ce rétrécissement du débat en «survalorisant les interactions directes, de personne à personne» pour s’informer, au détriment des médias traditionnels, souligne Olivier Ertzscheid, enseignant-chercheur en Sciences de l’information à l’université de Nantes. «On est dans un monde de communautés, de croyances. On n’écoute pas les autres» et la discussion se polarise, abonde Christian Delporte, expert en communication politique. Dans le pacte de Marrakech sur les migrations, Marine Le Pen voyait une «submersion (migratoire) organisée», bien que le texte réaffirme le «droit souverain des États» à définir leur politique. Dans le traité de coopération franco-allemand, le parti Debout la France (DLF) lisait que l’Alsace-Lorraine serait «livrée» à l’Allemagne, ce qui ne figure pas dans le texte. Le chef de l’État a contre-attaqué sur le texte franco-allemand, dénonçant ceux qui «répandent le mensonge». Ces échanges très médiatisés «focalisent l’attention sur quelque chose (le traité) dont beaucoup de gens n’avaient jamais entendu parler auparavant» et qui «ne révolutionne rien», estime M. Delporte. La députée Françoise Dumas refuse d’ailleurs de «répondre du tac au tac, car cela donne une valeur, un écho» aux «fake news». Et quand Jordan Bardella, tête de liste du RN pour les européennes, se plaint de ne pas pouvoir exprimer un «avis qui diverge», cela pose la question «de la limite entre le fait et l’interprétation», souligne M. Delporte. Les auteurs de ces fausses informations ont certes admis à demi-mot avoir tordu la réalité. «Il y a la lettre de ce traité et il y a l’esprit», a concédé Marine Le Pen. Sans la vidéo sur l’Alsace-Lorraine, «personne n’aurait jamais parlé» du traité, affirme le chef de DLF Nicolas Dupont-Aignan. Pour le chef de file de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon, «tout le monde est pris dans sa vision du monde et rend compte de sa vision du monde».Même s’il y a «toujours eu des joutes dans la vie politique où on se traitait réciproquement de «menteurs»», «il y a eu un diagnostic partagé à partir duquel on pouvait débattre des causes et des solutions. Maintenant ce sont les grilles de lecture qui s’affrontent», note Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’Ifop.