L’éviction de Tex par France 2 ouvre un débat sur le droit à l’humour

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Evolution de la société sur des sujets sensibles ou censure? L’éviction de Tex par France 2 après une blague sur les femmes battues a ouvert un débat sur le droit à l’humour dans lequel l’animateur a reçu mardi le soutien de «Charlie Hebdo». «C’est la liberté de parole qui est en jeu», assure Tex, alias Jean-Christophe Le Texier, humoriste et animateur de ce jeu depuis 17 ans. «On met en place une police de l’humour, on va contrôler ce que disent les comiques», poursuit-il en jugeant «la réaction de la chaîne totalement disproportionnée». Le 30 novembre, invité sur une autre chaîne, C8, Tex (57 ans) lâche une blague sur la violence conjugale: «Les gars vous savez ce qu’on dit à une femme qui a déjà les deux yeux au beurre noir ? (…) On lui dit rien, on vient déjà de lui expliquer deux fois». Après un tollé sur les réseaux sociaux, Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, annonce sur Twitter qu’elle a adressé un signalement au CSA. Finalement, France 2 décide en fin de semaine dernière de débarquer l’animateur des «Z’amours». Tex assure raconter cette blague dans ses spectacles depuis longtemps «pour faire réagir les gens». «Je l’ai encore faite samedi. Généralement, ça commence par un gros rire de mecs et aussitôt les femmes nous huent. Et moi derrière je leur dis: «enfin mesdames vous réagissez !»», dit-il. «J’ai détesté l’expression de blague douteuse, je ne vais pas me battre pour qu’elle entre au Panthéon mais je conteste qu’elle soit douteuse», poursuit-il. Depuis son éviction, les humoristes Anne Roumanoff, Jean-Yves Lafesse et Stéphane Guillon ont pris la défense de Tex au nom du «droit de pouvoir rire de tout». Le dernier soutien en date est celui de «Charlie Hebdo», devenu un symbole de la liberté d’expression depuis l’attaque jihadiste qui l’a visé en janvier 2015 et dans lequel sa rédaction a été décimée. «Qu’importe que les blagues soient drôles ou pas, qu’elles aient de l’esprit ou pas, qu’elles soient fines ou grossières. Ce qui compte, c’est de s’approprier une liberté et d’en faire usage: je ris, donc j’existe», juge le rédacteur en chef de l’hebdomadaire satirique, Riss, dans l’édito du numéro à paraître mercredi. Dans «une France de corbeaux, de lâches et de délateurs, qui croient défendre le bien, mais ne défendent que leur servilité (…) on s’adresse aux citoyens comme s’ils étaient des gosses. On leur fait les gros yeux quand ils disent des gros mots», regrette-il. De son côté, France 2 a affirmé que Tex avait déjà été mis en garde à «plusieurs reprises». «Le public a manifesté très clairement son mécontentement depuis plusieurs mois face à certaines de ses déclarations humoristiques à l’antenne», selon la chaîne. France 2 dit avoir demandé à Sony Pictures, qui produit l’émission, «de respecter la clause d’éthique du contrat qui lie la production au diffuseur» en congédiant l’animateur. En 2016, près de 225.000 femmes ont été victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint, selon des chiffres officiels. Quelque 123 en sont mortes. «La mauvaise blague de Tex appartient à une époque révolue. Les sensibilités ont évolué, comme la société», estime Isabelle Veyrat-Masson, historienne de la télévision et directrice de recherche au CNRS. «On ne peut pas tolérer n’importe quoi dans l’espace public», poursuit-elle, en jugeant que blaguer n’excuse pas tout: «puisque c’est son métier, il est normal qu’on le sanctionne (…) Il a commis une faute professionnelle». Dans un communiqué lundi soir, le syndicat Force Ouvrière (FO) de France Télévisions a estimé que la sanction qui frappe Tex «procède d’une confusion évidente: une plaisanterie n’est ni une incitation, ni une apologie, surtout après ses excuses, qu’il a faites immédiatement». Ironie de l’histoire, Tex est toujours à l’antenne, en tout cas pour l’instant: France 2 continuera de diffuser jusqu’en janvier les numéros des «Z’amours» déjà enregistrés.