Nassira El Moaddem, la nouvelle patronne du Bondy Blog s’attelle à donner un nouveau souffle au média

330

Sac au dos, Nassira El Moaddem court. Entre la banlieue et Paris, les cités et les plateaux télé. A 32 ans, la nouvelle patronne du Bondy Blog, passée par Canal+ et France 2, s’attelle avec aplomb à donner un nouveau souffle au média né en 2005 de l’embrasement des banlieues. Nordine Nabili, qui a régné pendant près de 10 ans sur le «bunker» tapissé de moquette rose devenu le repaire des «blogueurs» des quartiers populaires, ne voyait «personne d’autre» pour lui succéder. Cet été, il a confié les clés à une journaliste aguerrie, mère de deux enfants, mais se souvient parfaitement de la jeune fille brune et déterminée qui poussa les portes du Bondy Blog en 2008. A l’époque, Nassira El Moaddem, élevée en Sologne par une mère au foyer et un père ouvrier, vient de décrocher le diplôme de Sciences-Po Grenoble. Elle rentre d’une année à Istanbul où elle a appris le turc, hésite entre le journalisme et la diplomatie même si un stage à l’ambassade de Damas l’a «vaccinée» – «trop protocolaire, trop loin des gens». C’est une amie qui l’emmène pour la 1ère fois dans la commune tranquille de Seine-Saint-Denis où, trois ans plus tôt, des journalistes suisses ont créé le Bondy Blog afin de couvrir à la racine les révoltes déclenchées par la mort de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, dans un transformateur électrique à Clichy-sous-Bois. Envisagé comme un média éphémère, le site, repris par des journalistes du cru, s’est finalement installé dans le paysage médiatique en «racontant la banlieue autrement». «Immédiatement, dans sa répartie, sa capacité à s’imposer, j’ai vu quelque chose de très affirmé pour une jeune fille de 24 ans», raconte celui qui l’a adoubée.  Pierre Savary, directeur de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille (ESJ), qu’elle intègre après un passage par la «prépa égalité des chances» du Bondy Blog, décrit une «fille intelligente», «bourreau de travail», une «machine de guerre». Mais, pour certains de ses camarades de l’époque, c’est une personnalité «clivante», «qui existe dans l’opposition permanente». Ses débuts à iTELE alors que son premier enfant a à peine quelques jours, son CV à rallonge ou encore ses multiples petits boulots en parallèle de ses études attestent de fait d’une capacité de travail hors norme. «Elle dort très peu», résume une blogueuse. Lors de la traditionnelle conférence de rédaction du mardi, la nouvelle rédactrice en chef et directrice a déjà assis son autorité. Face la vingtaine de «blogueurs» venus de toute l’IDF, pour la plupart très jeunes, elle distribue les encouragements, incite fortement à «partager» certains papiers sur Twitter. Et enterre sans états d’âme les sujets jugés sans intérêt. Après plusieurs années passées à décrypter l’actualité économique et sociale, pour iTELE et l’«OEil du 20H» de France 2, où elle a «adoré travailler», la journaliste met la barre haut face à une rédaction quasi-bénévole. Quand on l’interroge sur ses défis, elle cite d’abord la transformation de l’association en une société de presse en ligne, afin d’assurer la pérennité du média, hébergé depuis 2 ans par «Libération». Sur le plan éditorial, elle entend «conserver l’ADN historique», «politique et engagé», en se concentrant sur les sujets qui préoccupent la périphérie: «l’islamophobie», «les discriminations dont sont victimes les habitants des quartiers populaires malgré les vaines promesses de la gauche au pouvoir», ou encore «le contrôle au faciès». Pour autant, Nassira El Moaddem se défend avec véhémence de tout «militantisme»: «Notre rôle est seulement de traiter des sujets qu’on n’aborde pas ou alors de façon caricaturale». Exemples? Le burkini, traité avec «hystérie» par les médias, ou encore le «camp d’été décolonial» réservé aux victimes du «racisme d’Etat», «loin d’être aussi sulfureux qu’on a voulu nous le faire croire».