La réalité virtuelle cherche encore son modèle

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La production de fictions et documentaires tournés en réalité virtuelle ou en réalité augmentée, sa petite soeur, commence lentement à décoller en dehors des Etats-Unis même si le modèle économique reste à inventer, estiment les professionnels. Objets audiovisuels déroutants, les films qui utilisent ces techniques sont désormais présentés dans plusieurs festivals de cinéma internationaux, souvent dans des catégories dédiées comme la «New Frontier» de l’américain Sundance, où pour la 1ère fois un film en VR, «Spheres», vient d’être acheté plus d’un million de dollars. Au festival audiovisuel Fipa de Biarritz, les organisateurs ont décidé de donner plus de visibilité à ces programmes en les sélectionnant aux côtés des fictions et documentaires traditionnels. Mais pour les voir, il faut s’équiper de casques/lunettes pour la réalité virtuelle (VR), d’une tablette ou d’un smartphone pour la réalité augmentée (AR, qui superpose des images virtuelles sur l’environnement), ce qui contraint le genre à des salles spéciales. «Les diffuseurs tentent toujours d’être en pointe sur les nouvelles technologies mais pour la VR, c’est beaucoup plus difficile : on ne sait pas qui est équipé, les différents casques ne sont pas compatibles, les spectateurs peuvent avoir la nausée…», regrette Hila Gavron, chargée de production pour le diffuseur public israélien IPBC. Invité d’honneur du Fipa, le pays souhaite devenir leader en matière de VR. «Nous voulons vraiment investir mais on ne sait pas encore trop comment», admet-elle. «La distribution est particulière car on s’adresse à différents publics : celui du cinéma, qui s’intéresse à la VR et se l’approprie de plus en plus, celui du jeux vidéos et celui des technophiles, amateurs de nouveautés», abonde Marie Blondiaux, qui développe avec sa structure Red Corner, le film en VR «7 Lives», coproduit par France TV. Pour elle, le grand public ira voir les films en VR dans des lieux dédiés, comme les espaces aménagés dans les cinémas MK2, ce qui signifie pour les producteurs qu’il faut nouer des partenariats avec ces derniers, et les technophiles s’équiperont eux-mêmes, ce qui implique d’être soutenu par les constructeurs de casques (Oculus, HTC) qui contrôlent les interfaces de téléchargement d’applications. Réalisé par Jan Kounen, «7 Lives», court-métrage de 30’, propose une plongée dans les souvenirs de plusieurs personnes à Tokyo et a nécessité plus de 2 ans de travail. Ce projet ambitieux dont les 1ères images devraient être présentées au festival de Cannes n’aurait pas pu naître sans co-production. «Aux Etats-Unis, les grands studios hollywoodiens sont en train d’investir, il y a un vrai espace de création francophone a défendre», estime Marie Blondiaux. «On n’a pas encore trouvé de modèle», reconnaÏt Pierre Block de Friberg, directeur des nouvelles écritures de France TV. Le groupe prévoit de sortir d’autres films en VR cette année, notamment 2 films «dans la peau de Thomas Pesquet», l’astronaute. Il a également coproduit avec le Canada le documentaire «The Ennemy», sélectionné au Fipa, 1ère appli en réalité augmentée de France TV. «On a trouvé un modèle de diffusion totalement inédit pour un projet documentaire, avec une exploitation partout dans le monde de l’installation, et une application», explique la productrice Chloé Jarry (Camera Lucida). L’installation «The Ennemy», qui propose à 20 personnes d’explorer les motivations de combattants se trouvant de chaque côté d’un conflit, est passée à Paris, Tel-Aviv, Boston et va partir à Montréal. Malgré le succès, elle est «très loin d’être rentable», avoue Chloé Jarry. «Les projets de VR coûtent extrêmement cher», confirme Gilles Freissinier, directeur du développement numérique de la chaîne franco-allemande Arte, très active dans la VR. Selon lui, «la force du modèle français est de pouvoir s’appuyer sur des médias publics et le Centre national du cinéma (CNC)» pour amorcer les financements à l’international.