«Pour le réconfort»: le portrait rageur mais aussi mélancolique d’une génération perdue

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Vincent Macaigne, enfant terrible du théâtre français avec des pièces tonitruantes, dresse avec son 1er long métrage «Pour le réconfort», en salles mercredi, le portrait rageur mais aussi mélancolique d’une génération perdue. Si on doit trouver un réconfort quelque part dans le film, c’est dans cette parole qui circule librement, souvent empreinte de larmes. «Crier, c’est réconfortant, ça nous met dans un état de vie. Je dis souvent aux acteurs que je ne veux pas que leurs personnages soient devant une maison qui brûle, à regarder ce qui se passe, mais dedans, avec l’énergie de la survie», explique-t-il. Le film, présenté à Cannes dans une sélection parallèle, prend prétexte de «La Cerisaie» de Tchekhov pour parler d’aujourd’hui. Lorsque Pauline et son frère Pascal discutent du domaine familial en faillite, c’est sur Skype, et l’image tremble et saute au gré de la connexion. Les images de New York aux couleurs sur-saturées restent longtemps sur la rétine avec leur modernité chahutée. Macaigne sait aussi se faire caressant, lorsqu’il filme la Loire, près d’Orléans, ou le très beau visage de madone de Pauline Lorillard. Le film n’est pas sans longueurs (notamment une scène d’engueulade en voiture) mais il est esthétiquement abouti, et empreint d’une nostalgie poignante. Le frère et la soeur (Pauline Lorillard et Pascal Rénéric) rentrent au domaine familial, où ils retrouvent leurs copains d’adolescence, pour assister impuissants, comme dans «La Cerisaie», à sa vente aux enchères. Mais, signe des temps, ce sont des maisons de retraite qui seront construites sur le domaine. «Tchekhov est un peu comme un tuteur, un grand frère. Je prends souvent des textes pour faire démarrer un travail», constate Macaigne. Au théâtre, ce fut «Hamlet» («Au moins j’aurais laissé un beau cadavre») puis «Idiot !» d’après «L’Idiot» de Dostoïevski. Comme au théâtre, Macaigne est arrivé sur le tournage avec une vague trame, et a écrit son film «au jour le jour pendant qu’on tournait». Il s’est autofinancé, pour un tournage express de dix jours et a dû ensuite patienter 4 ans pour réunir les financements et boucler la production. Entre le film et la vie, c’est un peu la même histoire, celle d’une génération qui se débrouille comme elle peut, dans une France «poisseuse», dit-il. «Je voulais raconter une fracture française, mettre en opposition deux milieux sociaux, dans une France un peu étrange où on ne sait plus quoi penser, même politiquement, ou espérer». Pascal et Pauline ont vécu l’un à Mexico, l’autre à New York, dans une fuite agréable du réel, tandis qu’à Orléans, leurs anciens camarades de classe bataillaient pour survivre. Pour Vincent Macaigne, «on nous fait croire que les classes sociales n’existent plus, mais ce n’est pas vrai». Le regard que pose le petit entrepreneur Emmanuel sur «ces bourgeois qui jouent aux péquenots» sur leur domaine est aussi envieux qu’acrimonieux. Laurent et Laure, qui travaillent pour lui dans la maison de retraite, sont les nouveaux prolétaires. «On fait croire à ma génération qu’on va mieux, qu’on se débrouille, mais ce n’est pas vrai, les gens galèrent vraiment, et la bourgeoisie, ça existe», souligne Macaigne. On est donc de plain-pied dans la vraie vie, avec ses vieux qui vivotent au coin de la télévision dans le foyer de la maison de retraite, ses jeunes coincés dans des appartements minuscules avec de petits salaires. Mais Macaigne sait faire souffler sur ce réel une poésie, une mélancolie du temps qui passe, des amis perdus, des espoirs évanouis, qui arrache son film à la platitude du réel. Aujourd’hui très repéré au théâtre (il présente 3 pièces dans le Festival d’Automne) et au cinéma (avec un rôle de raté sympathique dans «Le sens de la fête» d’Eric Toledano et Olivier Nakache), il produit avec trois francs six sous un film qui lui ressemble: mordant et mélancolique à la fois.