Les réseaux sociaux bouleversent la campagne présidentielle française

385

Ils prennent parti, contournent et influencent les médias traditionnels, offrent une tribune à tous, extrémistes compris, ou propagent des rumeurs en éclipsant l’information factuelle: comme aux Etats-Unis, les réseaux sociaux et sites partisans bouleversent la campagne présidentielle française. Encore plus qu’en 2012, Facebook, Twitter et YouTube sont devenus incontournables: 38% des Français s’informent aujourd’hui par internet, dont 17% par les réseaux sociaux, Facebook en tête, selon une enquête de Médiamétrie auprès de 3.000 personnes. Si les plus âgés écoutent aussi télé et radio, 77% des 18-24 ans s’informent par internet, dont 63% par les réseaux sociaux. Leur principal attrait: des contenus personnalisés, fournis par les partages des «amis» et triés par des algorithmes qui collent aux préférences des internautes. Une information segmentée, aux antipodes du JT pour tous. «Les médias doivent avoir des engagements, des identités. La nouvelle génération ne fait pas confiance à un grand média plat et creux. Il faut cliver dans le débat public», juge Johan Weisz, patron du pure player StreetPress. Cette tendance fait le succès de sites militants, comme ceux d’extrême droite FdeSouche (250.000 abonnés Facebook) ou Egalité et Reconciliation (150.000), ou, à l’opposé du spectre politique, la chaîne YouTube Osons Causer (100.000 abonnés) ou Le Monde Diplomatique (près d’un million d’abonnés Facebook). Le site pro-Trump Breitbart devrait bientôt arriver en France. Les responsables politiques les plus suivis sur les réseaux sont également les plus clivants : la présidente du FN Marine Le Pen (1,1 million d’abonnés sur Facebook, 1,2 million sur Twitter) et Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise (600.000 abonnés Facebook, 926.000 sur Twitter et 160.000 sur YouTube). «Tous ceux qui ne se sentent pas représentés dans les médias classiques trouvent là un autre espace d’expression et de diffusion d’idées différentes», a souligné Arnaud Mercier, professeur de communication politique et président de The Conversation, lors d’un débat sur France Culture. «Des politiques qui professent des théories parfois choquantes disposent aujourd’hui de relais médiatiques qui sont ceux d’une chaîne de la TNT ! Cela structure le débat démocratique et pèse sur l’élection. Sur Facebook, l’algorithme a par exemple poussé des millions de vidéos pro-Trump», a estimé le fondateur de la Netscouade Benoît Thieulin, lors de ce débat. «On est entré dans l’ère du débat public «desintermedié», horizontalisé», explique-t-il. Avec la recherche d’une parole sincère, sans filtre. Cette demande favorise les médias de vidéos en direct comme «Brut», créé par le producteur Renaud Le Van Kim (ex-Grand Journal), l’émission en direct sur Facebook «Brutus», où un responsable politique répond à des auditeurs, sans intervieweur (avec France 24) ou le «Live» de Mediapart. Cette absence d’intermédiaires sur les réseaux laisse la place à des professionnels de l’influence, qui profitent de l’effet démultiplicateur des partages sur Facebook. Y compris, selon les services de renseignement américains, des blogueurs russes pilotés par le Kremlin, qui auraient favorisé Donald Trump. Les réseaux bousculent aussi la hiérarchie des sujets. «Si un débat est sur Twitter, les journalistes sont obligés d’en parler. Ce ne sont plus eux qui ont la maîtrise de l’agenda, alors que c’était cela la démocratie de masse pendant 50 ans, avec la télé et la presse», analyse Benoît Thieulin. A tel point que le Service d’information du gouvernement s’est doté d’un outil pour mesurer le «buzz» Twitter des événements. «Sur votre propre chaîne YouTube, vous êtes seul à parler, sans être exposé à une réplique des journalistes. C’est un retour à un média doctrinaire, aux journaux d’idées et pas d’information. C’est la négation de ce qu’est devenu le journalisme depuis le XXe siècle», estime l’historien des médias Christian Delporte.