La vente de Time illustre les bouleversements du paysage médiatique aux Etats-Unis

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La vente de Time Inc., groupe qui possède l’un des magazines américains les plus célèbres, illustre les bouleversements économiques et politiques du paysage médiatique aux Etats-Unis, soumis aux attaques en règle de Donald Trump. Meredith Corp., qui publie surtout des magazines de mode de vie et gastronomiques, a annoncé dimanche avoir mis la main pour 2,8 milliards de dollars sur le groupe Time Inc., qui rassemble notamment le magazine éponyme mais aussi «Fortune», «Sports Illustrated» et «People». L’acquisition se fait avec l’apport financier des frères Charles et David Koch, connus pour apporter leur soutien aux franges conservatrices de la vie politique américaine et qui ne cachent pas leur aversion pour les médias dominants. Les 650 millions de dollars qu’ils apportent par l’intermédiaire de leur véhicule financier Koch Equity Development (KED) est décrit comme «passif». Ils ne siègeront pas au conseil d’administration et n’auront pas d’influence sur la politique éditoriale, à en croire les assurances données par Meredith. Mais leur présence suscite toutefois des inquiétudes sur l’influence de riches conservateurs sur les médias américains. «Les médias ne sont pas un bon investissement et si vous décidez de le faire c’est pour d’autres raisons que la rentabilité», estime Jeff Jarvis, qui enseigne le sujet à la City University de New York et qui était lui-même journaliste pour le groupe Time Inc. «Je ne suis pas contre davantage d’investissement venant des milieux conservateurs», affirme-t-il, tout en soulignant que les frères Koch lui semblent «plus versés dans la propagande que le journalisme». Charles Alexander, un ancien éditorialiste pour «Time», un magazine co-fondé en 1923 par Henry Luce, l’une des figures légendaires de la presse américaine, a rappelé la semaine dernière dans un article que les frères Koch ont financé des campagnes niant le réchauffement climatique et que cela pourrait les conduire à museler les enquêtes dans ce domaine. L’empire industriel des Koch est évalué à près de 100 milliards de dollars, s’étendant de l’énergie à l’agriculture en passant par le papier. Comme il n’est pas coté en Bourse, le plus grand secret règne sur son fonctionnement et ses ramifications. «Je n’y crois pas une seconde», lance Angelo Carusone, président de l’association Media Matters for America, qui se situe plutôt à gauche, lorsqu’il est interrogé sur les assurances que les Koch ne se mêleront pas des affaires de l’entité créée par la fusion entre Meredith et Time Inc. «Pourquoi feraient-ils cet investissement ? Ils ne respectent pas le journalisme, ils détestent les médias», assure-t-il. a fusion intervient alors que les éclats se multiplient entre Donald Trump et les médias, le président américain reprochant à beaucoup d’entre-eux de se livrer à la politique de la «fausse nouvelle» («fake news») et de l’attaquer sans relâche ainsi que la politique de son gouvernement. Celui-ci vient de modifier les règles de concentration des médias ce qui, selon certains experts, pourrait permettre au groupe de presse conservateur Sinclair Broadcast Group d’acquérir Tribune Media pour étendre son influence dans la télévision locale. Le président américain a même affirmé vendredi avoir refusé le titre de «personnalité de l’année» 2017 qu’aurait voulu lui accorder… «Time Magazine», même si ce dernier le dément. «Cela va être intéressant de voir qui sera leur «personnalité de l’année» l’an prochain», ironise à ce propos Rebecca Lieb, analyste pour le secteur des médias chez Kaleido Insights.Elle estime que le rapprochement entre Meredith et Time Inc. évoque le rachat il y a quelques années du «Wall Street Journal» par le magnat Rupert Murdoch. Ce dernier avait promis qu’il ne tenterait pas d’influencer le célèbre quotidien des affaires mais «en fait, il y a installé des gens à lui et le journal a changé sensiblement de tendance», affirme-t-elle.