Comparutions immédiates pour certains délits de presse: une réforme délicate

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La possibilité de comparutions immédiates pour certains délits qui relèvent de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, envisagée par le ministre de la Justice, suscite des inquiétudes dans les médias, même si le gouvernement promet un dispositif préservant l’intégrité du travail des journalistes. «Je pense que trop de personnes qui n’ont rien à voir avec la presse viennent profiter du bouclier de la loi de 1881, qui protège la liberté d’expression, pour distiller des discours en rupture avec les valeurs de la République», a déclaré le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti dans un entretien au «Figaro» mercredi. «Tout en maintenant les protections existantes pour les journalistes, un texte va être communiqué dès aujourd’hui au Conseil d’État afin que soit expertisée la possibilité de permettre la comparution immédiate», a-t-il annoncé. Une mesure qui doit accompagner le projet de loi «confortant les principes républicains», texte contre l’islam radical qui a été complété par des dispositions contre la haine en ligne après l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty. Comme toute initiative touchant à la loi de 1881, texte fondateur et particulièrement protecteur pour les journalistes, cette annonce et d’autres propos tenus la veille par le ministre lors d’une audition parlementaire, ont soulevé de nombreuses interrogations et critiques sur les réseaux sociaux et au sein de la profession. Une profession déjà fortement mobilisée contre la proposition de loi «Sécurité globale», dont les principaux syndicats et organisations du secteur estiment qu’elle empêcherait reporters et citoyens de filmer les forces de l’ordre durant leurs interventions. «Ce gouvernement piétine une à une toutes nos lois et nos règles les plus anciennes et les plus fondamentales», s’est notamment insurgé sur Twitter Taha Bouhafs, militant devenu journaliste. «On ne touche pas à la loi de 1881», assure-t-on pourtant à la Chancellerie, où l’on défend «une solution d’équilibre». «Ce qu’on veut modifier, c’est le code de procédure pénale» pour permettre de juger en comparution immédiate les propos haineux en ligne. Mais avec une exception pour «l’ensemble des personnes soumises à la «responsabilité en cascade»», c’est à dire lorsque les propos relèvent juridiquement de la responsabilité d’un directeur de la publication. Concrètement, avec un tel dispositif, des propos haineux tenus par un journaliste sur une chaîne d’info ne seraient pas jugés en comparution immédiate. En revanche, des déclarations faites par un journaliste sur son compte Twitter pourraient l’être potentiellement. L’objectif est celui d’une «réponse pénale très rapide» pour sanctionner la haine en ligne et «la comparution immédiate est la procédure la plus adaptée», «tout en préservant l’intégrité du travail des journalistes», souligne-t-on à la Chancellerie. Pour Dominique Pradalié cependant, secrétaire générale du Syndicat national des journalistes, ces garde-fous ne suffisent pas. Elle se dit contre l’idée que le gouvernement déciderait, au travers de l’application d’une telle mesure, qui est journaliste ou ne l’est pas. «C’est gravissime pour toute une profession», assure-t-elle, évoquant les très nombreux journalistes à statuts précaires, comme les pigistes, qui ne travaillent pas forcément dans le cadre d’une publication avec cette «responsabilité en cascade», notamment lorsqu’ils démarrent dans le métier. Les débats sont sans doute loin d’être terminés sur ces questions délicates, alors même que le directeur de «Charlie Hebdo», Riss, a évoqué cette semaine, à l’occasion du 50e anniversaire du journal satirique, «la liberté infinie de la parole». «En 50 ans, on est passé d’un extrême à un autre, d’une société frileuse où l’information était surveillée du coin de l’oeil par le pouvoir à une société ultra-médiatique où n’importe qui peut dire n’importe quoi publiquement, sans aucune réserve ni la crainte d’aucune sanction», a-t-il déploré.