Les jeunes défavorisés ne connaissent souvent l’actualité que par de courtes vidéos sur internet, souvent «humoristiques», qui leur donnent une vision du monde critique, voire accusatrice, propice aux théories du complot, selon une étude de la sociologue du CRNS Monique Dagnaud. Cette étude menée sur plus de 500 jeunes en difficulté, comparés à un groupe de 1.000 jeunes de toutes catégories, montre que les premiers ne sont que 8% à consulter des sites d’information, trois fois moins que les jeunes en général (24%), indique cette étude, à paraître sur le site universitaire Telos.
En revanche 44% d’entre eux – deux fois plus que les autres jeunes – regardent fréquemment des courtes vidéos. Pour celles liées à l’actualité il s’agit généralement d’extraits de JT ou d’émissions, parfois parodiées, ou encore de films ou de spectacles d’humoristes, qu’ils partagent et commentent entre eux. A noter que presque tous ont des smartphones. «C’est souvent à partir de ces formes culturelles humoristiques que se forge un regard sarcastique distant, critique, voire vengeur sur le monde et la politique», a expliqué la sociologue lors d’un colloque organisé par l’INA vendredi sur les jeunes et l’information. C’est à partir de cette «information validée par leur pairs» que s’établit leur rapport à l’actualité, et se forge «un imaginaire souvent chargé d’une distance pleine de doutes, propices à des délires sur les complots qui guideraient les événements d’actualité». «Les vidéos de Dieudonné ont souvent été visées par la critique, mais en fait ces vidéos partent dans beaucoup de directions, y compris, pour une minuscule fraction, vers la propagande jihadiste», précise-t-elle. Ils interagissent aussi bien plus sur les réseaux sociaux: 38% d’entre eux, contre 23% des jeunes en général, échangent, partagent ou commentent des contenus en ligne.
De plus 53% ont fait de nouvelles connaissances grâce aux réseaux, contre 36% des jeunes en général, et mettent davantage leur noms et des données les concernant (35% contre 22%). «Ils manifestent clairement une quête de sociabilité, d’identité et de visibilité sociale à travers ces réseaux», estime la sociologue, qui y décèle une «aspiration à la rencontre». Seuls 3% sont allés sur des blogs ou forums et 32% ont lu un livre au cours des trois mois précédents (hors cadre scolaire) contre 49% des jeunes en général. Ils passent aussi 1h à 2h par jour devant la télé et baignent dans la musique.Mais pour l’information, «celle qui les intéresse en tout premier lieu est celle des membres de leur bulle amicale, de leur communauté, une attitude qui caractérise plus généralement l’adolescence», souligne-t-elle. Cette enquête a été réalisée auprès de 529 jeunes (16-25 ans) en difficulté dans toute la France, hébergés ou scolarisés par l’association les Apprentis d’Auteuil.