Le plus grand festival de cinéma d’Asie menacé par un boycottage

Qui osera cette année fouler le tapis rouge du 1er festival de cinéma d’Asie? Un appel au boycottage a été lancé pour dénoncer des interférences politiques dans le rendez-vous annuel de Busan, des craintes partagées à Cannes, Venise et Berlin. Le Festival international du film de Busan (Biff) a célébré en octobre dans le port sud-coréen sa 20e édition, sur fond de querelles latentes qui ont depuis dégénéré en crise ouverte. C’est désormais la survie même de cet événement emblématique qui se trouve menacée, du fait d’enquêtes judiciaires visant ses organisateurs et d’une réduction sans précédent de ses subventions. Le directeur artistique du Biff, Lee Yong-Kwan, vient d’être acculé au départ dans ce que ses soutiens interprètent comme l’aboutissement d’une purge très politique. Aux origines du malaise, figure selon eux la programmation en 2014 d’un film sur la gestion par le gouvernement de la catastrophe du ferry Sewol. Ce documentaire sans concessions fustigeait l’inefficacité des secours après ce naufrage en avril 2014, qui avait fait 304 morts, dont 250 lycéens. «Nous payons aujourd’hui le fait d’avoir diffusé ce film qui ne plaisait pas au gouvernement», a déclaré Kim Jung-Yun, porte-parole du Biff. «Tout le monde s’inquiète de l’indépendance artistique et politique du Biff. C’est la plus grave crise que nous ayons traversée». La 1ère mondiale de «Diving Bell» («Cloche de plongée»), également intitulé «The Truth Shall Not Sink With Sewol» («La Vérité ne coulera pas avec le Sewol»), avait eu lieu au Biff, contre l’avis du maire de Busan, Suh Byung-Hoo, qui est également le président du Festival et qui jugeait le film «trop politique». En 2015, les subventions du festival ont presque diminué de moitié à 800 millions de wons (617.000 euros) et Lee Yong-Kwan a été la cible d’audits et d’enquêtes sur sa gestion du Biff. Il a finalement été écarté en février, M. Suh ne l’ayant pas reconduit. En réaction, le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, a rédigé une lettre ouverte au maire de Busan. Le texte a été signé par une centaine de personnalités du cinéma, parmi lesquelles le directeur artistique de la Mostra de Venise Alberto Barbera, le président de la Berlinale Dieter Kosslick, des responsables des festivals de Toronto, Tribeca (New York), Tokyo, Sydney, Osaka, Varsovie… «Notre préoccupation nous pousse à vous demander (…) de ne pas porter atteinte au festival ou à son indépendance, de cesser les pressions politiques sur les responsables et la programmation du festival», peut-on lire dans la lettre ouverte. «Les événements de l’année écoulée ne menacent pas seulement cette indépendance, mais aussi l’avenir même du Festival».

En Corée du Sud, des centaines d’acteurs, réalisateurs et producteurs manifestent depuis des mois pour demander aux autorités de faire machine arrière. «Ce festival n’est pas la propriété personnelle des responsables officiels, mais un patrimoine culturel estimé des cinéphiles», ont récemment écrit dans un communiqué commun un ensemble d’associations de réalisateurs sud-coréens. Cette coalition s’est engagée à boycotter l’édition 2016 à moins que la mairie de Busan ne change les statuts du festival pour en garantir l’indépendance artistique. «Le monde verra pour la 1ère fois un tapis rouge vide et les spectateurs du monde entier cesseront de venir», poursuit le communiqué. Le conseil municipal a d’ores et déjà rejeté tout ultimatum, affirmant que les enquêtes et le départ de M. Lee n’avaient rien à voir avec le documentaire sur le Sewol. «Je cherchais simplement à passer en revue les pratiques déraisonnables dans la gestion du festival qui a été concentrée dans trop peu de mains», a déclaré le maire. «Ces gens trompent le public en tentant de présenter mes efforts comme de la répression politique».