Elles s’enracinent en Chine depuis le XVIIe siècle, leur histoire s’imbrique dans celle du pays, leur influence s’étend dans le monde entier: les triades font l’objet du documentaire inédit «Triades: la mafia chinoise à la conquête du monde» sur Arte ce mardi 9 janvier, retraçant les origines et la puissance de ces organisations mafieuses méconnues. «Elles n’ont qu’une seule cause: la leur, et leur soif illimitée de pouvoir et d’argent», souligne d’emblée le commentaire du documentaire en trois parties d’Antoine Vitkine, qui a enquêté pendant plus de deux ans et obtenu un accès exceptionnel à plusieurs membres des triades, dont des grands parrains. «Tyran de fer», le boss au visage inexpressif d’Alliance Céleste, la plus puissante des triades taïwanaises, ou «Loup Blanc», l’inquiétant et souriant chef de Bambou uni, une autre organisation taïwanaise, s’expriment ainsi longuement face camera, parfois entourés de leurs sbires, avec l’assurance tranquille de parrains ayant pignon sur rue. «Ils n’avaient rien à perdre en faisant ces interviews. C’est une démonstration de puissance. Peut-être aussi étaient-ils flattés de se voir au centre de l’attention», raconte le réalisateur, précisant ne pas avoir subi de pressions ou menaces particulières. Du trafic de drogue et d’êtres humains en passant par la contrefaçon, le blanchiment, la cybercriminalité, mais aussi la production cinématographique ou les casinos, les triades brassent des milliards. Et s’adossent ou s’opposent au pouvoir, y compris celui de Pékin, en fonction de leurs intérêts. Leur histoire est intimement mêlée à celle de la Chine, depuis la naissance au XVIIe siècle de ces «sociétés secrètes», devenues au fil du temps de véritables organisations politico-mafieuses. Soutenu par de nombreuses images d’archives, le documentaire se décline en trois parties d’une heure: «Naissance d’une pieuvre» retrace l’histoire des triades, leur enrichissement grâce aux guerres de l’opium, leur soutien au pouvoir nationaliste et leur exil vers Taïwan et Hong Kong après l’arrivée de Mao au pouvoir. «A la conquête du monde» se penche sur la période suivant les rétrocessions à la Chine de Hong Kong par la Grande-Bretagne en 1997 et de Macao par le Portugal en 1999, et sur le rôle politique joué par les triades. Ainsi, à Hong Kong, leur rôle dans la répression des manifestations pro-démocratie est avéré, revendiqué même. L’occasion de revoir les images saisissantes de gangsters en T-shirt blanc et armés de tiges métalliques agresser violemment des manifestants en 2019. A Taïwan, «tous les mafieux fricotent avec les partis politiques», qu’ils soient pro ou contre Pékin, dit sans ambage un des chefs interviewés. A Macao, les casinos blanchissent l’argent des organisations criminelles, qui font la pluie et le beau temps. Soirées karaoké dans des bars à hôtesses dénudées, parrain se faisant filmer dans une baignoire remplie de billets, cortège de voitures rutilantes… Les triades ne dérogent pas aux clichés mafieux. Nombre d’images du documentaire sont d’ailleurs issues des gangs eux-mêmes, qui n’hésitent pas à se mettre en scène sur les réseaux sociaux. Le troisième volet, «Au service de l’Empire rouge» traite de l’expansion des triades dans le monde entier, et plus particulièrement en Amérique du Nord. Elles ont fait du port canadien de Vancouver leur tête de pont, par lequel arrivent notamment les ingrédients servant à fabriquer le fentanyl, une drogue redoutable aux effets ravageurs. Selon le réalisateur, s’appuyant sur des enquêteurs canadiens, les triades sont liées avec certains cartels mexicains. En Amérique du Nord mais aussi en Europe, elles espionnent et répriment les diasporas chinoises. «Je crois que les triades sont un des multiples enjeux du XXIe siècle, de par leur poids économique et leur capacité de déstabilisation», estime Antoine Vitkine, qui avoue avoir été «saisi» par leur puissance.