De la harangue hallucinée d’un rabbin en mai 1967 aux jeunes colons persuadés d’accomplir une prophétie divine en vivant, au sommet de collines, dans des mobile homes décrépits, le cinéaste israélien Shimon Dotan décrypte le mouvement de colonisation juive en Cisjordanie. Dans un documentaire exceptionnel diffusé le 27 septembre sur Arte, le cinéaste explore «cette partie essentielle du présent et de l’avenir d’Israël» avec son film, «Les colons», en remontant grâce à des images d’archives au discours fondateur du père spirituel du mouvement, le rabbin Zvi Yehouda Kook, devant les étudiants de sa fameuse yeshiva Mercaz HaRav à Jerusalem. «Aucun des présents n’a plus été le même après ce jour-là», assure le rabbin Yoel Bin Nun, l’un de ses disciples. Sorti en salles en Israël en mai, récompensé dans plusieurs festivals internationaux, le film est diffusé par Arte en première mondiale à la télévision. «Il y a quelques années, alors que je réalisais le documentaire «Le temps des prisonniers» («Hot house»), sur les prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes, je suis tombé sur un barrage édifié par des colons sur une route», explique Shimon Dotan, 66 ans, joint au téléphone à New York où il réside. «C’est la première fois que j’approchais de colons militants. J’ai vu un niveau d’extrémisme, de fanatisme qui m’a étonné. J’ai pensé que c’était une histoire dans laquelle je me devais de plonger», dit-il. Avec sa réputation de cinéaste et documentariste de gauche, Shimon Dotan a dû se livrer à un long travail d’approche pour parvenir à interroger une centaine de personnes, dans un milieu connu pour se méfier des journalistes et des regards extérieurs. Il a commencé par gagner la confiance de figures historiques du mouvement: plusieurs témoignent dans le film, le plus souvent avec un sourire de satisfaction aux lèvres. «Au début, ce ne fut pas facile de leur parler» admet le cinéaste. «Mais quand j’ai obtenu la collaboration d’un dirigeant important, le reste a suivi. Je leur ai promis qu’ils allaient pouvoir s’exprimer, et c’est ce que fait le film». Certains n’hésitent pas à afficher leur racisme anti-arabe; d’autres, comme Hanamel Dorfman, un jeune colon radical, à montrer la rive jordanienne du Jourdain et à rêver d’y installer des implantations. Quand le cinéaste lui rappelle que c’est le territoire d’un autre pays, la Jordanie, il répond en souriant : «tout est temporaire». A la question, posée à plusieurs militants en ouverture du 1er épisode, «Etes-vous un colon ?», aucun ne répond simplement «oui». Mais «je vis ici», «je suis un habitant», «j’aime cette terre, j’y vivrai jusqu’à ce qu’on m’y enterre», ou «c’est ainsi que les médias et les organisations gauchistes nous définissent».
Le film insiste sur l’attitude ambiguë, à tout le moins, voire carrément complice, des gouvernements israéliens successifs face au mouvement de colonisation en Cisjordanie. Ainsi le vice-premier ministre Yigal Allon explique en juillet 1967, face caméra, qu’il est souhaitable «d’intégrer des colonies militarisées au système défensif d’Israël (…) Nous avons compris assez rapidement que le monde finirait par accepter le fait accompli». Les images d’archives montrent notamment l’arrivée dans la ville palestinienne d’Hebron des 1ers colons, menés par le rabbin Moshe Levinger: «seul l’acte de nous réinstaller nous rendra crédibles», dit-il. «Chaque implantation est une étincelle de lumière divine qui s’épanche sur le monde». Pour l’écrivain et journaliste israélien Akiva Eldar, le mouvement de colonisation, que les autorités israéliennes ont laissé faire, voire encouragé et financé, «est désormais un monstre d’un demi-million de personnes, sur 225 implantations, qui fait obstacle à la paix».