Fin du fact-checking à Meta: la prix Nobel Maria Ressa met en garde contre une «époque extrêmement dangereuse» pour le journalisme

La journaliste philippine et prix Nobel de la paix Maria Ressa a mis en garde mercredi contre une «époque extrêmement dangereuse» pour le journalisme après la décision de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp) de cesser ses opérations de fact-checking aux Etats-Unis. «Mark Zuckerberg dit que c’est pour des questions de liberté d’expression. C’est complètement faux», a déclaré Mme Ressa, redoutant «une époque extrêmement dangereuse à l’avenir» pour le journalisme. Prix Nobel de la paix en 2021, la journaliste philippine Maria Ressa est une figure de proue de la lutte contre la désinformation. Elle a cofondé en 2012 la plateforme numérique de journalisme d’investigation Rappler, un média qui a braqué les projecteurs sur les violences liées à la campagne antidrogue lancée par l’ancien président philippin Rodrigo Duterte. «Ce n’est que si vous êtes motivé par le profit que vous pouvez prétendre cela, que si vous voulez du pouvoir et de l’argent que vous pouvez prétendre cela. Il est question ici de sécurité», a-t-elle ajouté. Meta a annoncé mardi qu’il mettait fin à son programme de fact-checking aux Etats-Unis pour le remplacer par un système de notes de contexte, semblable à celui qu’utilise X. Au lieu de faire appel à des organisations indépendantes pour lutter contre la désinformation, Elon Musk, propriétaire de X, a mis en place ces fameuses notes, rédigées par des utilisateurs quand ils estiment qu’une information nécessite une recontextualisation. Selon Mark Zuckerberg, «les fact-checkers ont été trop orientés politiquement et ont plus participé à réduire la confiance qu’ils ne l’ont améliorée, en particulier aux Etats-Unis». Depuis des années, Donald Trump critique sévèrement Meta, accusant le géant de partialité à son égard, et menaçant de prendre des mesures de rétorsion à l’égard de son patron, une fois investi fin janvier. M. Trump, qui a promis lors de sa 1ère conférence de presse post-électorale de «redresser» la presse américaine «corrompue», semble avoir pris exemple sur M. Duterte, selon Maria Ressa. «Les journalistes ont un ensemble de normes et d’éthique» à respecter, rappelle-t-elle. «Ce que Facebook va faire, c’est se débarrasser de cela et permettre aux mensonges, à la colère, à la peur et à la haine d’infecter chaque personne sur la plateforme», et ces mesures pourraient conduire, à terme, à un «monde sans faits». Le site Rappler de Mme Ressa, comme plus de 90 autres organisations de fact-checking, sont payées par Meta pour vérifier les articles qui contiennent potentiellement de fausses informations. Les contenus considérés comme «faux» sont alors relégués dans les flux d’information de façon à ce que moins de personnes les voient et que si l’une d’entre elles essaie de partager un tel message avec d’autres utilisateurs, ces derniers reçoivent un article expliquant pourquoi il est trompeur. Selon une étude de 2023 de l’International Fact-Checking Network (IFCN), un réseau international de 137 organismes de fact-checking, le programme de Meta constituait des «sources de revenus importantes» pour les acteurs du secteur. Rappler a néanmoins indiqué dans un communiqué son intention de continuer à travailler avec Facebook «pour protéger les Philippins de la manipulation et des dangers de la désinformation». «Il s’agit d’une année charnière pour la survie du journalisme» et «ce qui s’est passé aux Etats-Unis n’est qu’un début», alerte Mme Ressa.