Inde: à Calcutta, l’IA au service du sacré

Des millions d’Hindous sont attendus cette semaine à Calcutta, dans l’est de l’Inde, pour célébrer Durga, la déesse-mère aux dix bras, à travers des idoles de plus en plus issues d’une imagination nourrie par l’intelligence artificielle. « Les artisans ont désormais recours à l’IA pour trouver de nouveaux modèles », reconnaît Monti Paul, 70 ans, en admirant sa dernière statue, rose et bleu fluo, représentant Durga chevauchant un lion et terrassant un démon. Dans les ruelles du quartier de Kumartuli, dans le nord de la ville, des centaines de potiers sculptent, pour des communautés de fidèles ou de grandes familles, des représentations de la déesse. Pendant dix jours, des millions de fidèles affluent de tout le pays pour participer à ce festival, inscrit en 2021 par l’Unesco sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Ils célèbrent Durga à travers des idoles sculptées dans de l’argile extraite du fleuve sacré de l’hindouisme, le Gange, et installées dans des « pandals », d’immenses structures temporaires. Chaque année, les clients rivalisent d’originalité pour commander les oeuvres les plus spectaculaires, souvent en relation avec des thèmes d’actualité allant de la politique à la culture. Pendant des décennies, ils dessinaient le modèle qu’ils désiraient sur papier ou le décrivaient oralement, se souvient M. Paul. « Désormais, beaucoup nous apportent des photos d’idoles générées par ChatGPT », explique-t-il, souvent inspirées des « milliers d’images d’idoles de Durga remontant des temps anciens ». L’Inde compte près de 900 millions d’utilisateurs d’internet, selon l’association indienne de l’internet et de la téléphonie mobile, ce qui en fait l’un des plus vastes marchés mondiaux pour les outils d’intelligence artificielle. Elle est aujourd’hui devenue le premier pays au monde pour l’utilisation du modèle de génération d’images Nano Banana de Google, et le deuxième pour ChatGPT. Dans le nord de Calcutta, une communauté de fidèles a même choisi cette année d’évoquer à travers son idole le thème de l’IA, pour « mettre en lumière la manière dont l’intelligence artificielle façonne notre vie », explique son secrétaire, Subal Paul. De gigantesques claviers d’ordinateur et des lumières clignotantes ornent leur pavillon, sur fond de structures évoquant des tours de serveurs informatiques. Deux robots grandeur nature en gardent l’entrée, un autre tournoie au sommet du toit du pandal devant la déesse. « Nous ne savons pas si c’est une bénédiction ou une malédiction, mais l’ancien ordre a changé », souligne le secrétaire de 45 ans. Pour beaucoup, la technologie vient magnifier un festival qui, depuis toujours, dépasse les clivages de classe, de foi et d’origine. « C’est une fusion de tradition, de culture et de modernité », se félicite Ajoy Bhattacharya, 80 ans, érudit des écritures sanskrites.