Deux mots-clés dans le titre d’une émission et le ton est donné : avec un superlatif – «préféré», «le plus», «la meilleure» – et «français», les chaînes exploitent le filon du terroir triomphant, qui séduit des télespectateurs moins européens que jamais.
Des concours mêlant télé-réalité, documentaire et émission de voyage fleurissent, notamment sur M6 et France 2, où les régions, les boulangeries ou les villages concourent dans un esprit à la fois chauvin et compétitif. Portées par de fortes audiences («La meilleure boulangerie de France» concentre en moyenne 14,1% de pda en 2013 et «Le village préféré des Français» a réuni 5,2 millions de téléspectateurs en juin 2013 soit 20% de pda), ces émissions donnent à voir le meilleur du patrimoine «gaulois», à grands renforts de vues du ciel filmées par hélicoptère ou par drone. Dernière née du genre, «La plus belle région de France», émission hebdomadaire qui démarre jeudi en Prime sur M6, verra les régions s’affronter autour de 3 thèmes: paysages, saveurs et merveilles. France 2 proposera à la rentrée «Le monument préféré des Français», déclinaison du «village préféré des Français», «La maison préférée des Français» ou encore «Le jardin préféré des Français», toutes présentées par Stéphane Bern, devenu chantre du patrimoine.
Ces programmes partagent le format du palmarès, cher à la nouvelle téléréalité. «Le classement, c’est le moteur de l’émission (…) le format de concours, avec un compte à rebours, c’est un dispositif qui plaît», explique François Jost. Invités à participer et à commenter le programme, les téléspectateurs «se reconnaissent dans les résultats des sondages», selon Valérie Patrin-Leclère, responsable du département Médias au Celsa. Au coeur de ces productions, l’identité et l’appartenance à un territoire: «nous avons surfé sur la fierté régionale, sur cet attachement à la région d’où l’on vient, celle où on va en vacances», confirme Thomas Reboulleau, directeur adjoint des magazines d’information de M6. Ce filon du patriotisme aigü révèle un «repli sur la nation, un goût pour la tradition, une nostalgie dans la lignée de Jean-Pierre Pernault», selon François Jost. «C’est l’anti «Faut pas rêver»», le magazine de voyage de France 3, qui faisait découvrir l’étranger, ouvrait sur l’inconnu», analyse-t-il. Dans la même fibre que «L’amour est dans le pré» sur M6, les émissions «terroir» montrent des «gens authentiques, qui ne ressemblent ni à Ken ni à Barbie», renchérit Nathalie Nadaud-Alertini, sociologue des médias. «Comme la certification «fait main» ou les appellations d’origines contrôlées, c’est l’authentique qu’on apprécie et qu’on consomme».
Souvent programmées l’été, ces émissions obéissent à une logique de «marketing territorial, avec des enjeux économiques, symboliques, politiques», selon Isabelle Breton, maître de conférence au Celsa en communication politique. Chez M6, on ne cache pas avoir choisi «une diffusion aux beaux jours (qui) se prête bien à l’organisation des vacances ou des weekends». Au-delà de la dimension touristique, «parler de cuisine, de belles maisons, de lieux de villégiature, c’est attirer tout un ensemble d’annonceurs soit dans les écrans de publicité, avant, pendant et après le programme, soit en tant que partenaires, souligne Valérie Patrin-Leclère.