Cinéaste de l’intranquillité, l’Israélien Nadav Lapid livre avec «Oui» une charge radicale contre son pays devenu, selon lui, «le royaume de la haine et de la vengeance» depuis le 7-Octobre et le déclenchement de la guerre à Gaza. Sa fresque hallucinée suit, pendant 2h30, un musicien désoeuvré (Ariel Bronz) qui accepte de réécrire l’hymne national israélien pour en faire un appel à éradiquer les Palestiniens, dans la foulée de l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 qui a fait 1.219 morts. Le «Oui» du titre renvoie à la seule réponse qui serait laissée aux artistes en Israël face aux injonctions d’»une société défigurée» par la guerre à Gaza, qui a fait plus de 64.600 morts selon le ministère de la Santé du Hamas, explique le réalisateur de 50 ans. «On est aujourd’hui au royaume de la folie, de la vengeance, de la haine et il fallait juste regarder droit dans les yeux cette folie», explique Nadav Lapid, rencontré à Paris où il vit depuis quatre ans. Le film sort en salles mercredi en France. «Je pense que le film transmet cette effervescence folle, décadente et terrible, cette perversion de la société qui permet ce qu’on voit aujourd’hui». Certaines scènes frappent la rétine: des fêtes orgiaques et décadentes couvrant le bruit des avions de chasse ; l’étreinte d’un couple sur une colline face à Gaza, indifférent aux bombardements ; les regards distraits sur les notifications de smartphone annonçant de nouveaux morts palestiniens. «La réalité, terrifiante, s’est tellement rapprochée du film», estime M. Lapid. «Est-ce que quelqu’un pense aujourd’hui que parler du génocide comme le présent et le futur d’Israël soit quelque chose de surréaliste ? Je ne le crois pas». Crue, sans concessions, cette production franco-israélienne a déjà attiré sur son auteur les foudres des autorités en Israël, d’où il n’est pourtant pas encore sorti. En juin, les services du Premier ministre Benjamin Netanyahu ont tenté, en vain, d’empêcher sa projection au festival du film de Jérusalem, accusant Nadav Lapid «d’exploiter les événements traumatisants du 7-Octobre pour créer une satire provocatrice» et de déformer «la réalité des atrocités commises par le Hamas», selon un courrier traduit par la production du film. Nadav Lapid revendique, lui, d’avoir écrit un film excessif pour administrer un «électrochoc». «C’est un film qui tape trop fort et joue la musique d’un volume trop haut parce qu’il aspire à secouer les âmes», explique-t-il, assurant qu’il existe, en Israël, un public «prêt à faire face au film, même en se scandalisant, même en s’offusquant». Le rapport tourmenté de Nadav Lapid à son pays ne date pas de la guerre à Gaza et irriguait notamment «Synonymes», Ours d’or à Berlin en 2019, qui racontait la douloureuse errance d’un Israélien qui renie son pays et sa langue. Aujourd’hui, Nadav Lapid campe sur la même ligne et refuse toute circonstance atténuante à son pays, même si son film a été en partie financé par des fonds publics en Israël et qu’il y bénéficiera d’une sortie en salles. «C’est très important que ce film ne soit pas utilisé pour blanchir Israël. Il y a cet argument très connu en Israël qui dit : «regardez, on est un pays démocratique, on finance des films critiques»… C’est sûr qu’Israël n’est ni l’Iran ni la Chine mais ça ne veut pas dire qu’Israël est meilleur», assène le cinéaste, accablé par «l’impasse morale» dans laquelle se débat son pays. «Ça va aller de pire en pire tant que les Israéliens ne sont pas forcés de se regarder dans le miroir, dit-il. C’est aussi pour ça que je fais du cinéma».


































