«La guerre a abimé nos vies (…), pas notre créativité» : de son antenne installée à Prague après l’invasion russe, le directeur du studio ukrainien GSC Game World relate les années de guerre, de pandémie et de cyberattaques qui ont mené à la sortie de son jeu «S.T.A.L.K.E.R. 2» mercredi prochain. La parution du 2ème opus, très attendu, de la série de jeux de tir entamée en 2007, qui propulse les joueurs sur les terres désolées de Tchernobyl, marque la fin d’un long et chaotique développement pour les employés du studio. Certains ont pris la route vers l’est de l’Ukraine puis la République Tchèque quelques jours avant l’invasion russe de février 2022, d’autres se sont engagés dans l’armée. «La plupart sont restés en Ukraine mais nous n’avons pas l’impression d’avoir une équipe divisée», affirme Ievgen Grygorovych, le PDG du studio et directeur du jeu. Toutes les réunions ont lieu en ligne, à commencer par un rassemblement hebdomadaire des quelque 500 employés répartis entre l’Ukraine et la République tchèque. Né quelques jours seulement avant la catastrophe de Tchernobyl, Ievgen Grygorovych n’a que 14 ans lorsqu’il rejoint le studio fondé en 1995 à Kiev par son frère Sergiy. «Je suis introverti et je n’aime pas perdre de l’énergie à dire aux autres ce qu’ils doivent faire», explique-t-il. «J’ai donc appris à tout faire moi-même». S’il se décrit comme «un assez bon programmeur et concepteur de jeux», rien n’aurait pu le préparer au départ précipité auquel la guerre l’a contraint, qui a fait l’objet d’un documentaire intitulé «War Game : The Making of S.T.A.L.K.E.R. 2», sorti sur YouTube en octobre. «L’invasion a eu un impact sur nous et sur le jeu car nous sommes devenus des personnes légèrement différentes», constate Ievgen Grygorovych, qui a fui avec sa femme, musicienne de formation devenue manager chez GSC, leur fils de cinq ans et d’autres membres de sa famille. Également derrière la série de jeux de stratégie «Cossacks», GSC a depuis rompu avec les joueurs russes, supprimant les doublages dans leur langue et rédigeant les textes en ukrainien. Le studio a été quasi quotidiennement la cible de pirates informatiques russes qui ont tenté de perturber le développement de «S.T.A.L.K.E.R. 2», une situation «irritante mais gérable», pour Ievgen Grygorovych, qui a obligé l’entreprise à renforcer son système de sécurité. Les membres de l’équipe réfugiée à Prague envoient une partie de leur salaire en Ukraine pour soutenir leurs proches, tandis que ceux qui ont choisi de s’enrôler continuent de percevoir le leur. Quelques semaines après le début de l’invasion, le studio avait d’ailleurs annoncé avoir reversé près de 800.000 dollars à une ONG ukrainienne grâce aux ventes de ses jeux. Dévoilé pour la 1ère fois en 2010, le développement de «S.T.A.L.K.E.R. 2» a été interrompu pendant plusieurs années avant de renaître de ses cendres à la fin de la décennie. Sa sortie a été maintes fois repoussée, avant d’atterrir le 20 novembre sur PC et consoles Xbox Series. Il doit son titre à l’acronyme dont sont affublés, dans le jeu, les pillards qui rôdent dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, après une 2de catastrophe nucléaire fictive. Plus contemplatif et désabusé, le caractère ukrainien de la série la différencie également des jeux de tir occidentaux survitaminés comme «Call of Duty». GSC, qui revendique plus de 15 millions d’exemplaires vendus pour «S.T.A.L.K.E.R.» et ses deux suites sorties en 2008 et 2009, a présenté ce nouvel opus au public l’an dernier, à l’occasion du salon Gamescom en Allemagne. Un premier contact qui a permis de corriger certains bugs. «Je veux être fier de ce que nous avons fait», souligne Ievgen Grygorovych, toujours inquiet de la réaction des fans à quelques jours de la sortie. «Je suis tellement heureux que ce jeu ait survécu à la guerre», dit l’un d’entre eux dans le documentaire. «Et je suis sûr que l’Ukraine s’en sortira aussi».