Des spécialistes s’inquiètent du poids pris par une poignée de géants de la technologie et de l’IA dans la capitalisation boursière américaine, concentration inédite qui présente des risques, tant pour le marché que pour le quotidien des Américains. «Les dix plus grandes capitalisations de la Bourse de New York représentent environ 35% à 40% du S&P 500», l’un des indices phare de la place américaine, résume Reena Aggarwal, professeure de finance à l’université de Georgetown, à Washington. C’est plus de 24.000 milliards de dollars, soit environ huit fois le PIB de la France. Et «une vaste majorité» des gains engrangés par les investisseurs ces dernières années à Wall Street émanent de la rentabilité de ces quelques titres, liés pour la plupart au secteur de la tech, note Adam Sarhan, de 50 Park Investments. «Les petites capitalisations qui ne font pas partie de ce groupe sont souvent délaissées», estime l’analyste. «Si un jour, les grandes valeurs phares cessent de fonctionner», le marché devient alors «un château de cartes» qui pourrait «s’effondrer». Et les spécialistes craignent de plus en plus que certaines valorisations soient allées trop vite, trop haut. D’autant qu’une interrogation demeure quant à la capacité des géants de la tech d’absorber les coûts colossaux de la course à l’IA. Les marchés sont prêts à sanctionner ces méga-capitalisations, même sans motif palpable. Récemment, le groupe d’analyse de données Palantir – «l’un des chouchous de Wall Street», selon M. Sarhan -, a fortement chuté malgré des résultats bien meilleurs qu’escompté pour le troisième trimestre et un relèvement de ses prévisions. Meta – maison mère de Facebook, Instagram et Whatsapp – a connu un sort similaire, chutant de plus de 11% à Wall Street après la publication de ses résultats, plombée notamment par la perspective d’investissements toujours plus massifs dans l’IA. «Les attentes sont extrêmement élevées concernant les perspectives de développement de ces groupes», remarque M. Sarhan. «Et si certains des grands commencent à chuter, c’est +game over+ pour le marché.» En janvier dernier, une grande partie de la place new-yorkaise avait été emportée par l’onde de choc Deepseek – un agent conversationnel chinois extrêmement performant au développement bon marché – faisant vaciller les certitudes des investisseurs sur les champions américains de l’IA. Le géant des puces Nvidia avait alors perdu près de 590 milliards de dollars de capitalisation boursière en une séance, l’une des pires pertes de l’histoire. Une «brèche» dans l’engouement autour de l’IA serait aussi «particulièrement négative pour la croissance économique», note Daniel Ives, analyste chez Wedbush Securities. Celle-ci dépend actuellement en grande partie des investissements massifs dans ce domaine (construction de centres de données notamment). En parallèle, observe Reena Aggarwal, les gains à Wall Street gonflent le patrimoine – et donc le pouvoir d’achat – de nombreux Américains, via des fonds de placement indexés sur le cours d’un indice boursier (ETF) ou les plans de retraite dits «401K» auxquels contribuent les employeurs, dans un pays où la détention, directe ou indirecte, d’actifs boursiers est plus importante qu’ailleurs. «Si la dynamique venait à changer soudainement (…), cela pourrait avoir un impact non seulement sur les personnes très riches qui ont énormément profité de la croissance des marchés boursiers, mais aussi sur certains plans de retraite de citoyens ordinaires», ajoute la spécialiste. Pour Daniel Ives, «malgré les inquiétudes liées aux valorisations et aux rumeurs de bulle spéculative autour de l’IA, nous n’en sommes encore qu’au début d’un mouvement haussier qui devrait se poursuivre pendant encore deux ou trois ans» à Wall Street. Selon lui, la place américaine se trouve donc encore loin du scénario de la bulle internet des années 2000, bien qu’il n’exclue pas «quelques périodes de nervosité» dans les années à venir.

































