Pour contrer le dollar, Pékin s’active pour lancer sa monnaie numérique

Tout un paradoxe: côté face la Chine réaffirme son interdiction des cryptomonnaies, et côté pile elle s’active pour lancer sa monnaie numérique… avec l’espoir de rivaliser un jour avec le dollar à l’international. Les cryptomonnaies «ne sont pas de vraies devises», ont estimé mardi plusieurs fédérations bancaires chinoises de référence, mettant en garde contre la «spéculation» sur des outils comme le bitcoin, dont le cours a dévissé dans la foulée. La monnaie numérique chinoise – encadrée, elle, par la banque centrale – pourrait faire ses débuts en 2022 lors des JO d’hiver de Pékin. La Chine a commencé à réfléchir à un tel projet dès 2014. La monnaie numérique chinoise est un futur moyen de paiement électronique sur smartphone, amené à remplacer les pièces et les billets. Cette monnaie virtuelle sera émise par la banque centrale et aura la même valeur que le yuan, contrairement aux cryptomonnaies qui, elles, sont non régulées par des institutions financières et sujettes à la spéculation. Il s’agit d’une étape supplémentaire dans la numérisation des paiements, dans un pays où le liquide a déjà pratiquement disparu: 74% des transactions sont réalisées à l’aide d’un téléphone portable, selon la Fédération chinoise des paiements. La monnaie numérique ne sera pour les Chinois qu’une option supplémentaire pour payer, pas une révolution, estiment des spécialistes. L’immense majorité des achats se règle déjà via les omniprésentes applications WeChat et Alipay. Ces dernières, liées à un compte bancaire, sont de simples outils qui facilitent les transactions, principalement en scannant un code QR avec son téléphone. Le yuan numérique, en revanche, sera une valeur créée et contrôlée par la banque centrale, qui dispose déjà d’une appli spécifique. Au moment de régler un achat, l’appli génère un code QR sur le téléphone, avec en arrière-fond l’image d’un billet à l’incontournable effigie de Mao. Emis par la banque centrale, le yuan numérique est «traçable», remarque Kevin Desouza, professeur à l’Université de technologie du Queensland, en Australie. Cela «donne plus de contrôle et d’informations au gouvernement». Le pouvoir central pourrait ainsi verser directement des allocations aux citoyens en contournant les autorités locales, relève le cabinet SinoInsider, basé aux Etats-Unis. La corruption et le blanchiment d’argent deviendront ainsi «pratiquement impossibles», indique-t-il. Les citoyens seront encore moins enclins à s’opposer au régime communiste de peur de voir leurs paiements numériques bannis, prévient le cabinet. Vu sous ce prisme, la monnaie numérique est pour la Chine un «élément clé» pour s’affirmer technologiquement. Elle doit permettre à Pékin de réduire sa dépendance au dollar, ultradominant à l’international. La Chine est «vulnérable» à d’éventuelles sanctions américaines «car son commerce extérieur est dépendant» du billet vert, relève l’analyste Maximilian Kärnfelt, de l’Institut Merics en Allemagne.Washington considère que toute transaction en dollars relève du droit américain et peut ainsi sanctionner individus, entreprises, voire Etats souverains. A ce titre, la monnaie numérique offrira à Pékin un système alternatif pour «payer – ou être payé – en yuans plutôt qu’en dollars partout dans le monde», estime M. Kärnfelt. Des pays en délicatesse avec les Etats-Unis observent avec intérêt. La Chine et la Russie doivent «se débarrasser des systèmes de paiement internationaux contrôlés par l’Occident», a plaidé en mars le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, lors d’un déplacement en Chine. Une soixantaine de «juridictions» planchent sur une monnaie virtuelle ou sont déjà en phase d’expérimentation, selon la Banque des règlements internationaux.

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