V. GISBERT (SPECT) : «Le projet de fusion de TF1 et M6 soulève de nombreuses questions»

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TF1, M6, Bouygues et RTL Group ont conclu des protocoles d’accord d’entrée en négociations exclusives pour fusionner les activités de TF1 et M6 et créer un groupe de médias français. Comment le Syndicat des Producteurs Créateurs de Programmes Audiovisuels a-t-il réagi ? Réponse avec Vincent GISBERT, Directeur Délégué du SPECT.

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La fusion envisagée des groupes TF1 et M6 soulève-t-elle des craintes pour la production indépendante ?

Vincent GISBERT

Ce projet de fusion soulève en effet de nombreuses questions ! Il s’agit d’une concentration qui nécessairement interpelle. Le nouvel ensemble capterait 70% du marché publicitaire de la télévision. D’ailleurs, les audiences cumulées des deux groupes représentent 42,7% du total télévision (avril 2021). Les groupes TF1 et M6, ce sont des millions d’investissements annuels dans les programmes audiovisuels créés par les producteurs indépendants. Selon une étude que nous avions fait réaliser en janvier 2020 par Glance-Médiamétrie, les programmes de flux (jeux, magazines et divertissements) des groupes TF1 et M6 représentaient en cumulé 15.500 heures de programmes annuels (contre 11.000 heures environ pour France Télévisions) à travers 288 programmes différents. Voilà pourquoi le nouvel ensemble TF1-M6 constituerait, de très loin, le premier partenaire des producteurs indépendants de flux. La première interrogation qui vient légitimement est donc de savoir quelle place sera accordée aux programmes originaux et aux formats made in France ?

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Quels sont les autres enjeux pour les producteurs et les créateurs indépendants?

Vincent GISBERT

Avec le développement d’un «pôle de production de contenus» envisagé par TF1 et M6, c’est toute la filière audiovisuelle qui risque d’être impactée avec une interrogation pour la diversité de la création, et par ricochet pour les 100.000 salariés employés dans la production audiovisuelle. Les enjeux sont donc absolument majeurs. En fusionnant les deux groupes, leur chiffre d’affaires annuel atteindrait 3,4 milliards d’euros avec un Résultat Opérationnel Courant combiné de 461 millions d’euros.

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Percevez-vous d’autres sources d’inquiétudes ?

Vincent GISBERT

Dans la communication financière présentée lundi, on apprend aussi que le potentiel des synergies attendues est estimé entre 250 et 350 millions d’euros annuels. On se demande donc légitimement quelle place sera garantie à la production indépendante, dans tous les genres de programmes. En ce qui concerne les programmes de flux, la question est d’autant plus sensible qu’il n’y a pas d’obligation de production. De plus, il est fortement envisageable que la cession de trois chaînes TNT puisse renforcer les turbulences dans l’univers de la TNT, déjà fragilisée économiquement par la pandémie.

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Cela signifie aussi que des opportunités existent pour la production indépendante ?

Vincent GISBERT

Oui, je l’espère ! Il faut aussi raisonner en termes d’opportunités et c’est uniquement par des investissements massifs dans les programmes que l’objectif de concurrencer les acteurs mondiaux sera rempli. La production indépendante dit «banco» quand il s’agit de renforcer l’offre de contenus français de qualité avec des marques fortes et des investissements ambitieux… et cela dans tous les genres !  De toute façon, il faudra voir comment le processus va se mettre en place d’ici fin 2022. Une chose est sûre, l’Autorité de la concurrence et le CSA auront un rôle majeur à jouer par rapport au tissu des créateurs et des producteurs indépendants déjà très fortement impactés par la pandémie.