Le monde la télé cherche un nouvel équilibre pour exister à l’international

Confrontés à l’appétit grandissant des jeunes pour le streaming et à l’ambition d’acteurs étrangers comme Netflix, chaînes de télé, producteurs et auteurs cherchent un nouvel équilibre pour exister à l’international tout en préservant l’exception culturelle française. Le projet de loi «Liberté de création, architecture et patrimoine», que le Sénat va examiner début février et qui entend redéfinir les relations entre producteurs et diffuseurs, est l’occasion pour chacun d’avancer ses pions. La législation actuelle prévoit que 75% de la production des chaînes soit confiée à des sociétés de production indépendantes, une façon de protéger la création française. «A l’époque où elle a été créée, la législation servait à préserver les producteurs de la toute puissance du diffuseur. Mais le rapport de force n’est plus le même», notamment depuis l’arrivée de gros acheteurs de fiction comme Netflix, a affirmé la patronne de France Télévisions, Delphine Ernotte, au festival international des productions audiovisuelles (Fipa) à Biarritz. «Les contraintes imposées aux diffuseurs dans la production indépendante sont à mon sens trop lourdes», estime le sénateur Jean-Pierre Leleux (Les Républicains), qui vient de déposer 2 amendements en ce sens. Il souhaite abaisser le quota consacré à la production indépendante à 60% et redéfinir cette notion pour permettre aux chaînes de détenir une participation minoritaire chez des producteurs, sans que ces derniers perdent leur label d’indépendants. «Il faut apaiser les rapports entre diffuseurs et producteurs et donner les moyens aux diffuseurs de devenir des acteurs forts, à la hauteur de la nouvelle concurrence planétaire», poursuit le sénateur. L’enjeu pour les chaînes est de détenir les droits sur les programmes, pour les exploiter à l’international ou gérer leur diffusion en ligne, mais également pour éviter qu’un programme stratégique ne soit racheté par un concurrent, à l’instar du rachat du producteur Newen («Plus belle la vie») par TF1. Elles mettent aussi en avant que leur modèle économique est fragilisé par la baisse de leurs recettes pub, réparties aujourd’hui entre plusieurs grands groupes. «Une des singularités en France, c’est d’avoir 5 groupes privés puissants. C’est beaucoup pour faire de la télévision», regrette le vice-président du directoire de M6, Thomas Valentin. Il prône une réorganisation du marché face à la fuite des 15-24 ans vers la VOD: «l’avenir de la télévision ne pourra pas passer par la diffusion linéaire», (ndlr, via un poste de télé par opposition à la vidéo à la demande), estime-t-il. «Pour résister, les diffuseurs doivent être intéressés aux oeuvres qu’ils financent, en étant producteurs, ou actionnaires de producteurs», selon lui.
Mais pour les producteurs indépendants, les amendements proposés par Jean-Pierre Leleux «signent la mort de la production indépendante». «En sous-texte, j’y vois la fin de l’exception culturelle française», prévient Thomas Anargyros, président de l’Uspa, qui représente leurs intérêts. «Si les anciens garde-fous ne tiennent pas, inventons de nouvelles régulations. Ne disons pas que l’alpha et l’oméga est de déréguler», s’agace le sénateur David Assouline (PS). «Il faut voir quelle est la priorité. L’année 2015 a vu l’accélération d’un phénomène: la concentration -inégalée dans le monde- des médias en France aux mains de quelques grands industriels, dont le métier premier n’est pas celui de la création», souligne-t-il, estimant qu’il faut «une régulation face à ce phénomène de concentration».Les auteurs, représentés par Sophie Deschamps, présidente de la SACD, attendent de leur côté «un grand chambardement dans la réglementation. Il faut que leur travail soit encadré et rémunéré», demande Sophie Deschamps, constatant «une énorme dégradation des conditions de travail».