A. BOURLON (Magazine L’Équipe) : «Nous travaillons à renforcer notre présence digitale»

À l’occasion de ses 45 ans, le «Magazine L’Équipe» se réinvente : plus moderne, plus visuel, mais toujours fidèle à l’ADN du titre. Désormais en kiosque chaque mercredi, en plus du samedi avec le quotidien, le Mag entend conjuguer héritage et innovation, temps long et instantanéité, récit et image. Son rédacteur en chef, Antoine Bourlon, dévoile les ambitions de ce projet qui vise à faire du magazine un objet culte, intemporel et résolument cross-plateforme.

Le «Magazine L’Équipe» fête ses 45 ans. Comment avez-vous concilié héritage et modernité pour construire cette nouvelle formule ?

Nous avons la chance de nous appuyer sur 45 ans d’histoire. Cela dépasse chacun d’entre nous, tant en termes de notoriété que de patrimoine éditorial. Historiquement, tous les 7 ou 8 ans, des projets de renouveau voient le jour afin de rester dans l’air du temps, de répondre aux attentes des lecteurs et de s’adapter aux évolutions du sport comme à celles des athlètes, dont les générations changent et dont les envies diffèrent. Cette fois-ci, nous avons voulu créer un objet à la fois moderne et intemporel. Nous avons travaillé avec le studio Yorgo. Leur première mission a été d’explorer les archives : les premiers numéros, les anciennes maquettes… C’est ainsi que nous avons retrouvé une police utilisée à la fin des années 1980 et l’avons retravaillée pour la Une et nos titres d’article. Ce détail illustre notre démarche : mêler héritage et contemporanéité, tout en créant un magazine qui se collectionne, que l’on a plaisir à conserver et à relire dans dix ou quinze ans.

Et éditorialement ?

Nous n’avons pas touché aux fondamentaux : le temps long, le reportage, l’immersion, l’enquête, la force du récit et des images. Mais nous avons souhaité pousser les curseurs. Si une interview mérite 14 ou 16 pages, nous le faisons. Nous ouvrons aussi davantage nos colonnes à la mode, la musique, la gastronomie ou d’autres champs où le sport s’invite désormais naturellement. Les rassemblements d’équipes nationales, par exemple, deviennent aussi des événements de mode. Nous voulons être le lien entre athlètes et lecteurs, raconter leurs évolutions et les proposer comme nous ne les avons jamais encore lus.

Désormais en kiosque chaque mercredi, en plus du samedi avec le quotidien, quel est l’objectif stratégique de cette double diffusion ?

Le Mag a toujours été pensé comme le supplément du samedi, avec un vrai rendez-vous éditorial. Mais nous souhaitions lui offrir une visibilité nouvelle. Le mercredi, nous arrivons au même moment que la plupart des hebdomadaires généralistes : cela nous place sur le terrain de la presse de référence. L’enjeu est double. D’abord, rendre le magazine accessible toute la semaine, et éviter les frustrations : auparavant, si vous manquiez le numéro du samedi, vous n’aviez plus aucune chance de le trouver. Ensuite, accompagner notre stratégie digitale. Les contenus du Mag seront prolongés sur le site et les réseaux sociaux de L’Équipe. Nous voulons que les lecteurs puissent, à tout moment, acheter le magazine en kiosque après avoir découvert un extrait en ligne.

Vous revendiquez toujours plus de 3 millions de lecteurs hebdomadaires, dont une majorité d’hommes. Comment évolue votre audience ?

Oui, nous restons autour de 3 millions de lecteurs par semaine. Historiquement, L’Équipe s’adresse en majorité à un public masculin. Mais le lectorat du Mag est plus féminin que celui du quotidien, ce qui est un vrai signal. Notre volonté est de construire un magazine intergénérationnel et inclusif. Aucun sujet ne doit être réservé à un genre ou à une tranche d’âge. Nous voulons que le Mag parle à tout le monde. Notre idéal ? Un magazine posé sur une table familiale un dimanche qui suscite l’intérêt du père, de la mère, des grands-parents et des enfants. Le fils aura peut-être vu un extrait sur Instagram, la grand-mère sera séduite par une belle photo, le père par un grand récit. Ce partage, cette transversalité, c’est ce qui guide notre conception. Et le sport est un langage universel qui nous permet de viser cet objectif.

Quelle est votre vision à long terme pour le Magazine L’Équipe ? Rester un objet papier culte ou évoluer vers une marque cross-plateforme ?

Nous voulons les deux. Le papier doit rester un bel objet, que l’on collectionne, que l’on conserve comme on garde un beau livre. Mais nous voulons aussi que le Mag devienne une marque vivante et communautaire. Nous réfléchissons à des événements physiques, des expositions, des collaborations avec des athlètes sur des projets culturels. Nous travaillons à renforcer notre présence digitale avec une identité forte et cohérente. Le logo, par exemple, a été repensé pour s’intégrer davantage aux usages numériques. L’ambition est claire : être reconnu comme une référence mondiale, capable de surprendre par la qualité de ses récits, son esthétique, sa cohérence, que ce soit en print, en digital ou sur les réseaux.

Le Mag veut surprendre par la narration et l’immersion, avec des grands récits, des enquêtes, des entretiens ou des reportages. Comment préparez-vous ces formats longs dans un contexte dominé par l’instantanéité numérique ?

Nous avons une conviction profonde : le temps long a sa place et son public. Les grands médias comme le «New York Times» l’ont prouvé. Aimer scroller Instagram n’empêche pas de savourer un reportage de 15.000 signes. Les deux coexistent. À L’Équipe, nous l’avons expérimenté avec «Explore», notre plateforme de longs formats multimedia, qui a rencontré un vrai succès en ligne. Ce type de formats fidélise, car il valorise le travail et la qualité. C’est exactement ce que nous voulons pour le Mag. Nous avons structuré chaque numéro en trois temps : une première partie faite de lectures courtes et rythmées, un cœur de magazine avec les grands formats à déguster lors d’un voyage ou d’une pause, puis une fin plus visuelle et patrimoniale, avec nos archives et nos partis pris culturels. En parallèle, nous développons aussi des formats courts sur le digital, toujours avec la même exigence esthétique, afin de nourrir les deux temporalités de lecture.