A. CHAMBELLAND (EVERPROD) : «Nous avons trouvé notre place sur le marché international»

Ex-directrice de Capa Stories et Capa Impact, Amandine Chambelland dirige depuis 2022 le label documentaire EVER PROD au sein groupe Elephant.

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Votre documentaire «Mayotte, l’impossibilité d’une île», diffusé le dimanche 23 février à 21h05 sur France 5 dans «Le monde en face», offre un regard rare sur Mayotte, avant et après le cyclone Chido. Comment cette immersion a-t-elle influencé votre approche du récit ?

Amandine CHAMBELLAND

Initialement, nous avions pour mission de réaliser pour France 5 un documentaire sur la situation à Mayotte avant l’ouragan Chido. Deux sessions de tournage ont été effectuées, l’une en octobre et l’autre en décembre. Lors de cette dernière, l’alerte cyclonique a été déclenchée et nous avons fait évacuer l’équipe la veille de l’arrivée du cyclone, via les Comores. Nous avons ensuite décidé de revenir dès que cela a été possible, en passant par La Réunion, puis grâce aux vols de la sécurité civile reliant La Réunion à Mayotte, sept jours plus tard. Nous sommes les seuls à être retournés aussi rapidement après la catastrophe.

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Finalement, malgré lui, le documentaire s’inscrit dans une actualité brûlante et complexe.

Amandine CHAMBELLAND

Tout-à-fait ! Le cyclone Chido a agi comme un révélateur des problématiques que nous traitions déjà depuis plusieurs mois. Il a exacerbé les tensions et mis en lumière des défis de grande ampleur pour la population mahoraise. L’un des aspects marquants de cette approche a été de retrouver les personnes que nous avions filmées avant le cyclone. Voir ce qu’elles avaient perdu, leurs maisons détruites, a apporté une intensité émotionnelle forte au film. Nous avions déjà identifié, avant la catastrophe, la crise migratoire et l’habitat insalubre comme des problématiques majeures. Nous avons notamment documenté le plus grand «décasage» de l’histoire de Mayotte, la destruction massive d’un bidonville en décembre. Cette question des logements illégaux et insalubres est au cœur du documentaire.

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Comment avez-vous articulé le travail journalistique ?

Amandine CHAMBELLAND

Ce qui nous semblait crucial, c’était de donner la parole aux différentes parties prenantes. À Mayotte, il existe un profond malaise autour du «vivre ensemble». Les Mahorais ne supportent plus l’afflux migratoire venu des Comores, pourtant il s’agit de leurs cousins, leurs frères, avec qui ils partageaient une destinée commune avant l’indépendance des Comores. Ils se sentent abandonnés par l’Hexagone et le gouvernement, alors qu’ils aspirent pleinement à leur identité française. Nous avons donc choisi d’alterner les points de vue des trois grands acteurs du conflit : les Comoriens (près de 200.000 personnes, soit la moitié de la population de l’île), les Mahorais et l’État. Nous nous sommes efforcés de ne pas porter de jugement, mais d’amener chaque partie à exprimer sa vision, afin que le spectateur puisse se forger sa propre opinion. Ce va-et-vient entre les perspectives offre une compréhension plus fine et empathique de la complexité de la situation.

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Votre ambition est de faire d’EVER PROD une référence sur le marché international du documentaire. Où en êtes-vous dans cette démarche ?

Amandine CHAMBELLAND

Nous avons déjà réussi à imposer des productions qui fonctionnent très bien à l’international. Par exemple, «Kadhafi, la folie d’un dictateur» a été vendu dans une trentaine de pays. Nous avons également un film en cours sur les origines du Covid, une enquête mondiale avec des tournages à Taïwan, en Chine, au Japon et aux États-Unis, qui suscite un vif intérêt à l’étranger. Nous avons trouvé notre place sur le marché international grâce à un super distributeur, Federation. En parallèle, nous développons des projets pour les plateformes, notamment une série de trois épisodes pour Netflix. C’était un objectif majeur, car cela nous permet d’avoir une existence plus forte à l’échelle mondiale.

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Vous avez toujours été à la pointe de l’innovation narrative, mêlant journalisme et codes de la fiction. Quelles nouvelles formes d’écriture souhaitez-vous explorer ?

Amandine CHAMBELLAND

Nous avons expérimenté plusieurs approches, notamment des formats courts très digitaux avec «Mascus, les hommes qui détestent les femmes» pour Slash. Nous avons deux nouveaux projets en cours avec eux. Ce sont des petites productions expérimentales, mais qui nous permettent de tester des narrations nouvelles. Nous avons aussi remporté un appel d’offres de France Télévisions pour une série historique à destination des jeunes adultes. Ce projet vise à renouveler le récit historique en le rendant plus incarné et feuilletonnant, avec du suspense à chaque épisode. Le titre provisoire est «Dino et Jaïd, la rage des années 80», une histoire de deux frères d’origine algérienne dans un contexte de montée du FN et du hip-hop à Paris.

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En quoi votre collaboration avec Elephant renforce-t-elle votre ambition ?

Amandine CHAMBELLAND

L’un des aspects les plus enrichissants est la synergie entre les équipes. Nous avons des échanges nourris avec la fiction, le flux, et nous avons accès à un vivier d’auteurs et de réalisateurs qui peuvent nous aider à renforcer nos récits documentaires. C’est un partenariat très stimulant.

LES DIRIGEANTS
A. CHAMBELLAND
Directrice
COORDONNEES
5 rue de Milan
75009 Paris
DATE DE CREATION
2022 

PRODUCTIONS
«Mayotte, l’impossibilité d’une île» (F5) ; «Kadhafi, la folie d’un dictateur» (F5)…