Arte mise sur l’info pour «s’ancrer dans le présent»

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Moins de documentaires historiques ou de soirées thématiques pointues, plus d’actualité dans des formats innovants: la chaîne franco-allemande Arte mise désormais sur l’info pour «s’ancrer dans le présent», une stratégie qui semble payante en termes d’audience. «L’idée est de sortir la chaîne du passé, de la ramener dans le présent, voire dans l’avenir, tout en décryptant et en conservant un regard décalé», résume Marco Nassivera, directeur de l’information de la chaîne culturelle installée dans des locaux modernes et lumineux à Strasbourg, à 300 mètres du Parlement européen. Depuis 2012, le JT quotidien, réalisé par une équipe binationale composée pour moitié de Français et d’Allemands, n’est plus doublé: deux versions -une française, une allemande- sont programmées à des horaires décalés (19h10 en Allemagne, 19h45 en France). Même si les présentateurs diffèrent, «le défi reste de faire le même journal pour les 2 pays, sinon c’est tout l’esprit d’Arte qui serait mis à mal. Mais on peut adapter certaines choses pour l’un ou l’autre public, pour être plus clair», souligne Marco Nassivera. Avec ses deux JT quotidiens, son JT pour enfants – une innovation encore rare à la télévision française – et ses reportages long format sur la crise des migrants ou le financement de Daech, «Arte est de moins en moins la chaîne de l’Histoire et de plus en plus dans le présent», confirme Isabelle Veyrat-Masson, historienne et sociologue des médias. «L’actualité répond à l’exigence parfois contradictoire qu’on a imposée à cette chaîne: celle de faire du culturel, mais aussi de l’audience», ajoute la spécialiste, coauteure d’une «Histoire de la télévision française». Et de fait, en termes d’audience, l’évolution est perceptible: en moins de 4 ans, «Arte journal», le JT du soir, est passé de 1,7 à 2,6% de pda en France, soit près de 580.000 téléspectateurs en moyenne. Un succès qui a tiré vers le haut l’audience globale de la chaîne (2,2% de pda en France). En Allemagne, pourtant plus peuplée, l’audience du journal du soir est bien moindre, de l’ordre de 160.000 téléspectateurs. Une différence qui s’explique en partie par les difficultés de la chaîne à son lancement, en 1992, à se faire une place parmi la trentaine de chaînes du câble en Allemagne, alors qu’en France l’offre était bien moindre. Mais cet écart tient aussi à une différence d’approche plus globale dans le traitement de l’information de part et d’autre du Rhin. «Dans «Arte Journal», nous abordons l’actualité sous un angle européen ou international, et en France nous sommes pratiquement les seuls à faire ça», résume Carolin Ollivier, la rédactrice en chef. «En Allemagne, d’autres médias accordent une large place à l’international, nous pouvons donc moins nous démarquer». Dans «Arte Journal», ni faits divers, ni sport, ni volonté de «coller» à ce que font les autres médias. Il peut même arriver qu’aucun sujet spécifiquement français ou allemand ne soit retenu.

Pour les enfants aussi, l’actualité sur Arte se décline à l’international. «Arte Journal Junior», diffusé tous les jours à 18h00 sur le web puis le lendemain matin à l’antenne à 7h35, entend expliquer aux 10-14 ans aussi bien le «Super mardi» aux Etats-Unis que la théocratie en Iran, les ondes gravitationnelles ou la «jungle» de Calais. «On peut parler de tout, même du génocide au Rwanda. On évite seulement les images trop dures», explique Jean-François Ebeling, son rédacteur en chef. L’émission a été créée en février 2014 sous forme hebdomadaire. Un an plus tard elle est devenue quotidienne, après les attentats contre «Charlie Hebdo» «qui ont montré à quel point les enfants avaient besoin qu’on leur explique l’actualité», raconte M. Ebeling. Pour la sociologue Isabelle Veyrat-Masson, cet ancrage contemporain d’Arte se traduit aussi à travers la fiction. «Borgen», «Real humans», «Trepalium»: ces séries très remarquées décryptent le présent, voire même anticipent l’avenir. Et au final, «les gens voient bien qu’Arte a changé», assure-t-elle.