CHINE : La scène artistique chinoise désemparée après la sévère sanction prononcée à l’encontre d’un producteur

165

La sévère sanction prononcée récemment à l’encontre d’un producteur de spectacles a jeté un froid sur le milieu culturel chinois, rappelant que la libre expression artistique est de plus en plus limitée. Les autorités ont récemment infligé une amende de près de deux millions d’euros à la société de production Xiaoguo Culture Media et suspendu ses spectacles après une blague, jugée déplacée, d’un humoriste sur l’Armée populaire de libération (APL). Le comédien Li Haoshi a détourné un célèbre slogan de l’armée ce qui, aux yeux des autorités, a constitué une infraction à la loi et a eu «des conséquences négatives» sur la société. La scène artistique chinoise a toujours été censurée par le parti communiste mais sous la décennie du président Xi Jinping, les autorités ont renforcé leur surveillance. La sanction infligée à Xiaoguo traduit le fait que «la marge de tolérance des autorités concernant les discours non conformistes est encore moins importante», a estimé Vivienne Shue, spécialiste de la Chine contemporaine à l’Université d’Oxford. Auparavant, «il était plus courant» de voir les personnes transgressant la ligne «s’en tirer avec un simple avertissement», selon elle. Dans le cas de M. Li, les autorités ont infligé une amende à Xiaoguo et ouvert une enquête à l’encontre de l’humoriste. Selon Steve Tsang, de l’institut SOAS China à l’Université de Londres, cette sanction «a clairement été prononcée» pour susciter la crainte au sein du milieu culturel. A la suite de cette sanction, des spectacles musicaux et humoristiques ont été annulés à travers tout le pays. Dans certains cas, la «force majeure» a été invoquée mais, pour d’autres, aucune raison n’a été mentionnée. Les concerts du musicien japonais Kanho Yakushiji, prévus à Hangzhou, Shanghai et Pékin, ont été annulés et l’artiste a déclaré sur Instagram ne pas en connaître la raison. Un salarié d’une salle de spectacle de Shantou (sud) a affirmé qu’un concert de rock a été reporté sans qu’il sache pourquoi. Plusieurs artistes contactés n’ont pas voulu commenter le climat actuel, redoutant que cela n’aggrave la situation. Les stands-ups, relativement nouveaux en Chine, sont particulièrement risqués car «il est difficile de savoir quelles sont les limites», estime Xiaoning Lu, de la SOAS. Certains nationalistes considèrent qu’ils sont un produit importé de l’Occident, selon elle. Le parti communiste a toujours contrôlé de manière drastique le milieu artistique, cooptant certains à des fins de propagande politique et réprimant tous ceux confinant à de la dissidence.

Pour le fondateur de la Chine communiste Mao Zedong, il n’existait pas «d’art détaché ou indépendant de la politique». «La censure et l’autocensure ont toujours existé même si leur intensité a été différente d’une époque à l’autre», estime Sheng Zou, de l’Université baptiste de Hong Kong. Ces dernières années, le gouvernement a publié de nouvelles «directives morales» exigeant des comédiens qu’ils incarnent la positivité et le patriotisme. Il s’en est également pris à ce qu’il qualifie l’«esthétique anormale» dans les médias, avec en ligne de mire des images d’hommes à l’allure efféminée. En annonçant l’amende infligée au producteur de spectacles, les autorités ont dit espérer qu’«écrivains et artistes (se conformeraient) aux lois et règlements, corrigeraient leur pensée créatrice (et) renforceraient leur culture morale». «Les limites de l’humour approprié ont toujours été élastiques en Chine, en fonction du climat politique», estime Xiaoning Lu, de la SOAS. Avec l’incident de Xiaoguo, une nouvelle ligne rouge a été fixée, pour Mme Shue, d’Oxford. L’institution militaire doit être considérée comme «sacrée» et ne doit pas être un sujet de plaisanteries, explique-t-elle.