«CODA» et l’avènement des plateformes de streaming aux Oscars

Une fameuse gifle l’a reléguée au 2nd plan, mais la cérémonie des Oscars a été marquée par une 1ère historique: un film diffusé par une plateforme de streaming a raflé la récompense suprême du meilleur long-métrage sous le nez des grands studios hollywoodiens traditionnels.Beaucoup dans l’industrie du cinéma estiment que si Will Smith n’était pas monté sur scène pour frapper l’humoriste Chris Rock, l’Oscar remporté par Apple TV+ avec «CODA» aurait été au coeur de toutes les conversations des professionnels du secteur. «Il était clair qu’un service de streaming allait tôt ou tard franchir cette barrière. Et je pense que c’est une rupture importante», déclare Kendall Phillips, professeur à l’université de Syracuse et spécialiste de la culture pop. «Je pense vraiment que cela va permettre à un bien plus grand nombre de films d’être pris au sérieux par les électeurs de l’Académie» des Oscars. Dès le début de la saison des prix cinématographiques, un film porté par une plateforme de vidéo à la demande semblait avoir de grandes chances de s’imposer lors de la 94e édition des Oscars. Pendant longtemps, ce fut «The Power of the Dog», western sombre et psychologique de Jane Campion, qui était donné comme le grand favori. Ce film était produit par Netflix, le plus ancien et le plus solide des services de streaming. Signe des temps, Netflix avait rejoint début 2019 les rangs de l’influente Motion Picture Association of America, composée jusqu’alors des seuls studios historiques de Hollywood.Mais il lui restait encore à consolider cette reconnaissance de la profession avec un Oscar majeur. Malheureusement pour Netflix, «CODA», comédie dramatique pleine d’optimisme sur la vie d’une adolescente entendante et de sa famille sourde, s’est finalement imposée cette année aux Oscars. L’irruption des services de streaming aux Oscars est relativement récente et reflète les préjugés et la méfiance qui ont longtemps prévalu contre eux à Hollywood. Il aura fallu attendre 2017 et «Manchester by the Sea», produit par Amazon, pour qu’un film en streaming soit retenu dans la course au prix du meilleur long-métrage. Il avait été battu cette année-là par «Moonlight». Depuis lors, Netflix n’a cessé d’accumuler les nominations dans cette catégorie reine, avec par exemple «Roma», «The Irishman», «Marriage Story», «Mank», «Les Sept de Chicago» ou «Don’t Look Up: Déni Cosmique». Ces 3 dernières années, Netflix arrivait même nettement en tête pour le nombre de nominations aux Oscars. Rien que cette année, la plateforme en comptait 27 au total, mais elle n’en a confirmé qu’une avec l’Oscar de la meilleure réalisation pour Jane Campion. A l’inverse, Apple TV+, lancé fin 2019, a reçu 3 prix cette année (sur 6 nominations). Selon le magazine spécialisé «Variety», Apple a dépensé plus de 10 millions de dollars pour la campagne de «CODA», un film dont la production a coûté 15 millions. Netflix avait aussi déployé toute sa puissance financière pour la promotion de «The Power of the Dog», ce qui n’a pas été du goût de tous à Hollywood. Certains électeurs de l’Académie des Oscars sont notoirement réticents à voter pour un film diffusé en streaming, un format qu’ils considèrent comme une menace pour les salles traditionnelles, meilleur moyen de regarder un film selon eux.Pour Kendall Phillips, le public se soucie pour sa part bien davantage du contenu et les plateformes de streaming savent répondre à ses attentes. «Il est de plus en plus difficile de déterminer d’où un film vient, si c’est la production d’un service de streaming ou d’un grand studio. Cette limite a probablement été définitivement brouillée», relève-t-il. C’est d’autant plus vrai pour «CODA» que le film avait initialement été tourné en vue d’une sortie en salles mais la pandémie a bouleversé ses plans. Apple TV+ n’a fait que l’acheter aux enchères après sa présentation au festival de Sundance.