Décision cruciale mercredi sur la validité de l’enquête sur EncroChat

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La cour d’appel de Douai doit se prononcer mercredi sur les mises en examen de 3 protagonistes du réseau de vente de téléphones cryptés EncroChat, une étape décisive pour entériner la légalité de l’enquête menée dans l’ombre à Lille mais suivie par les observateurs de la criminalité organisée. En juillet 2020, les autorités judiciaires et policières françaises et néerlandaises annoncent le démantèlement d’EncroChat, un réseau mondial de communications cryptées utilisé par des groupes criminels. L’enquête sous l’égide de l’organisation européenne Eurojust a permis durant plusieurs mois d’intercepter «plus de 100 millions de messages» échangés entre criminels à travers le monde, à leur insu. Les autorités judiciaires annoncent alors l’arrestation concomitante de plus 800 personnes liées à du trafic de drogue, des assassinats, du blanchiment d’argent, des extorsions de fonds ou des enlèvements dans plusieurs pays européens. Un «séisme» pour le crime organisé, selon les autorités, et une cascade de procédures judiciaires. A Nancy, par exemple, sont jugés de lundi à vendredi 13 personnes accusées de trafic de drogue, dans une enquête basée sur les messages de ce réseau. Mais un dossier est resté tapi dans l’ombre: l’information judiciaire ouverte depuis mai 2020 sur le réseau de distribution d’EncroChat lui-même, mené par la Juridiction inter-régionale spécialisée (Jirs) de Lille. Selon des éléments de l’enquête, trois hommes, dont deux frères, de nationalité espagnole, ont été mis en examen à l’été 2022 et écroués. Selon deux sources proches du dossier, ce sont des vendeurs des fameux téléphones. De mêmes sources, une dizaine d’autres personnes, dont les principaux responsables d’EncroChat et de sa diffusion, font l’objet de mandats d’arrêts internationaux. La presse française et internationale a évoqué des arrestations au printemps 2022 à Dubaï ou en République dominicaine. Dans ce pays, cela aurait concerné Paul K., le Canadien présenté par la justice française comme le «dirigeant de l’organisation EncroChat». Il aurait ensuite été relâché. Selon l’enquête, toutes ces personnes sont visées pour leur «parfaite connaissance du caractère criminel de leur clientèle», permettant «la commission d’infractions d’une gravité extrême» qui ont «induit des dommages sanitaires et sociaux considérables» et «porté atteinte de manière durable à la sécurité au niveau mondial». Le réseau vendait pour quelques milliers d’euros des téléphones BQ, modèle Aquaris, entièrement cryptés, sans caméra, microphone, GPS ou port USB, avec une option «code pin panique» permettant un effacement éclair du téléphone. Les appareils étaient acquis par une société de Hong-Kong, puis transitaient jusqu’à leur destination via Dubaï et les Pays-Bas. Pour les enquêteurs, «le développement d’EncroChat» a été «financé» par les organisations criminelles qui ont acheté les BQ, payé des abonnements, voire réclamé «de nouvelles fonctionnalités». Un bilan versé à l’enquête estime ainsi que pour la France seule, ce sont au moins «92%» des 574 téléphones recensés dans la captation qui auraient été utilisés pour des «activités illicites». Lors d’une audience le 12 avril à la chambre de l’instruction, les 3 mis en cause ont demandé la nullité de leur mise en examen ou de la procédure. Leurs avocats contestent la connaissance par le réseau de distribution de la destination criminelle d’EncroChat. De manière plus procédurale, la défense estime que manque au dossier une «attestation de sincérité», requise en cas de décryptage de données. Le 10 mai, saisie d’une procédure criminelle incidente EncroChat, la Cour de cassation a confirmé que cette attestation était une obligation procédurale, mais a estimé que ce n’était pas le cas concernant ce réseau crypté, car ses données étaient déjà «claires» avant leur absorption par les enquêteurs. La défense demande des preuves de cela.