Des juges de ligne aux caméras : Wimbledon prend un tournant technologique

Réputé plus «juste» mais jugé moins «cool», l’arbitrage électronique en direct a fait disparaître les emblématiques juges de ligne à Wimbledon, temple de la tradition tennistique où flotte un parfum de nostalgie, plus prononcé chez les spectateurs que chez les joueurs néanmoins. Tirés à quatre épingles dans leurs élégants costumes, pantalon blanc et chemise rayée parfois surmontée d’un blazer bleu, les 300 «line judges» faisaient partie du décor depuis la première édition du tournoi il y a 148 ans, une petite éternité. Leur remplacement par les 450 caméras de la société Hawk-Eye, à Wimbledon et à Roehampton où se tenaient les qualifications, a donc laissé un vide, au fond des courts et des coeurs. «Cela faisait partie du plaisir d’aller à Wimbledon, de la tradition. J’adorais quand ils sortaient tous en uniforme», a décrit Fiona Jones, une spectatrice de 52 ans. «La technologie, c’est bien, mais je pense qu’on a perdu quelque chose en ne les voyant plus». Il en reste bien environ 80, mais leur fonction se limite désormais à assister l’arbitre de chaise. Ils se tiennent en outre prêts à intervenir en cas de défaillance de la machine. A Wimbledon, les juges de ligne ont cohabité pendant une quinzaine d’années avec l’outil technologique: l’arbitre pouvait en effet faire appel à la vidéo en cas de contestation d’un joueur (un «challenge»), ce qui provoquait un murmure d’excitation et un «clapping» du public au moment de la reconstitution du point sur les écrans géants. Avec le tout-numérique, «l’énergie, l’aspect dramatique» dans les tribunes ont disparu, regrette Marie Sal, 26 ans et employée dans la tech, croisée dans les allées du tournoi. La décision de Wimbledon a aussi singularisé Roland-Garros, désormais le seul Grand Chelem à conserver ses juges de ligne à rebours de la tendance actuelle. Les organisateurs du tournoi parisien estiment que sur terre battue, l’arbitrage électronique n’est pas encore suffisamment performant pour supplanter l’oeil humain. L’Américain Frances Tiafoe, actuel 12e mondial et engagé mercredi au deuxième tour de Wimbledon, pense que la révolution numérique a «tué» une partie du folklore. «Quand tu servais sur un gros point, tu faisais un «challenge»: est-ce que c’est dedans, dehors ? La foule faisait «ohhhh». Il n’y a plus ça». Selon le prestigieux All England Lawn Tennis Club, organisateur de Wimbledon, le passage au 100% automatisé a été appliqué par souci de cohérence, et non pour un éventuel gain financier. «Nous pensons aux joueurs qui utilisent l’arbitrage électronique pendant la majeure partie du reste de l’année», a affirmé Sally Bolton, la directrice générale de l’AELTC. «Il ne s’agit pas d’économiser de l’argent, mais de faire évoluer le tournoi et de s’assurer que nous fournissons la décision arbitrale la plus efficace possible». L’Américain Taylor Fritz lui a donné raison, insistant sur le fait que les membres du circuit ATP étaient désormais trop «habitués» à l’automatisation en direct pour «revenir en arrière». Comme c’est en place «pendant 95% de l’année», a-t-il insisté, «les rares semaines où on revient au système des «challenges», c’est délicat parce que nous ne sommes plus du tout conditionnés pour ça». Le Britannique Cameron Norrie reconnaît lui que c’était «cool» d’avoir les juges de ligne, et que «c’est un peu dur pour eux» de disparaître, mais «en tant que joueur, une décision arbitrale c’est noir ou c’est blanc», et désormais «il n’y a aucune erreur». «A l’US Open, j’avais déjà connu les machines donc ça ne me choque pas spécialement, même si des fois tu as l’impression que la machine, elle se trompe», a commenté la Française Elsa Jacquemot, interrogée mercredi lors d’un point presse. Depuis le début du 3ème Grand Chelem de la saison, aucune polémique n’est cependant survenue concernant l’outil technologique.