En Afghanistan, «Adalat» s’inspire de «Faites entrer l’accusé» pour promouvoir la justice

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Sur le plateau télévisé, l’agencement des photos de cadavres, de scènes de crimes, d’armes… semble tout droit sorti des premiers épisodes de «Faites entrer l’accusé». En Afghanistan, «Adalat» s’inspire de la reine des émissions criminelles françaises pour pousser les Afghans à croire en leur justice. La mise en scène suit la trame hexagonale: après un générique aussi noir qu’haletant, un long traveling introduit la présentatrice afghane… qui termine l’émission alors que la lumière s’éteint. Vingt minutes durant, policiers, avocats, victimes et accusés expliquent tour à tour l’affaire de la semaine. «On s’est inspiré de «Faites entrer l’accusé»», reconnaît Arif Ahmadi, le directeur général d’Awaz, qui produit Adalat. Lui avait vu l’émission française chez un ami expatrié à Kaboul. «On a juste mis un peu plus de lumière sur le plateau, car on voulait montrer que la justice, c’est simple, c’est transparent». «Adalat», qui signifie «justice» en persan, ne raconte pas seulement les grands crimes ayant agité l’Afghanistan, pays en guerre depuis quatre décennies, où les meurtres ont été légion. L’émission s’intéresse aussi à des affaires moins médiatiques, violences faites aux femmes et autres actes de corruption, qu’elle narre avec pédagogie. Les textes de loi sont cités, mais simplifiés, pour la bonne compréhension des téléspectateurs. Dans un épisode consacré au viol d’une jeune femme à Bamiyan (centre), un enquêteur fait état de «onze différentes preuves attestant de la culpabilité» des deux agresseurs, alors qu’une procureure explique pourquoi la «peine maximale», soit huit ans, a été requise contre eux. En appel, le deux hommes, qui dénoncent «un coup monté», ne seront pourtant condamnés qu’à six et un an de prison. «Nous ne disons pas que la justice est géniale, ou que personne n’est corrompu», observe Arif Hamadi. «L’idée est de démocratiser l’idée de justice, d’expliquer la loi aux gens en leur montrant qu’il y a des mots compliqués, mais qu’au final tout le monde peut comprendre». «Dans la société afghane, hommes et femmes sont victimes car ils ne connaissent pas leurs droits», acquiesce la présentatrice Shukria Niazai, 25 ans, qui se dit «fière» d’enseigner à la population «comment se défendre». L’émission, financée par des bailleurs internationaux, a trouvé ses fidèles, se félicite Najibullah Hameed, un responsable de la chaîne Aryana, qui la diffuse. Faute de mesures d’audimat fiables en Afghanistan, il relate les «nombreux coups de téléphone» de téléspectateurs frustrés alors qu’Adalat avait été suspendu d’antenne le temps d’une compétition sportive. Le concept «est très efficace», ajoute-t-il, dans un pays où 57% de la population est illettrée, selon l’Unesco, et la presse écrite peu consultée. «La télévision et les réseaux sociaux constituent la meilleure manière de diffuser des messages», estime M. Hameed. «Il faut montrer aux gens des choses qu’ils peuvent visualiser». Avant Adalat, du nombreuses émissions et séries ont été produites pour générer du soutien populaire au fragile Etat afghan, ravagé par quatre décennies de guerre. La coalition internationale menée par les Etats-Unis, qui a chassé les talibans du pouvoir fin 2001, a ainsi «beaucoup investi» dans l’audiovisuel afghan jusqu’en 2014, quand elle avait transféré la sécurité du pays aux forces afghanes, «pour montrer au public qu’elles étaient compétentes, qu’elles avaient les bonnes armes», se souvient Wali Arian, un ancien communicant du ministère de l’Intérieur. «Les médias ont énormément fait pour bâtir la confiance dans les forces de sécurité», affirme Massood Nawabi, un cadre de Tolo TV, la principale chaîne privée du pays. «Ce n’est pas seulement subventionné, nous le faisons aussi gratuitement», comme quand la dernière saison de la Nouvelle star afghane a été dédiée au forces afghanes, remarque-t-il.