Au placard les performances pop calibrées à la chorégraphie tirée au cordeau: la Suède, pays le plus titré à l’Eurovision, casse son image cette année et présente une chanson délurée capable, selon les experts, de fédérer. Pour KAJ, un groupe finlandais comique plus habitué aux salles des fêtes qu’aux arènes gigantesques, pas question de se prendre trop au sérieux. Sur scène, les 3 hommes vêtus d’un costume marron d’un autre âge chantent jovialement les bienfaits du sauna accompagnés à l’accordéon. Autour d’eux, les danseurs grillent des saucisses avant de se retrouver en serviette au sauna, chapeau en laine sur la tête. «Allons au sauna, sauna, plus de vapeur et laissons tout le stress aujourd’hui», répètent-ils, en suédois dans le texte. Ce refrain imprime immédiatement l’esprit. «Cette mélodie fonctionne même à l’international: moi qui ne parle absolument pas la langue, je suis capable de fredonner le refrain», s’amuse Fabien Randanne, journaliste à «20 Minutes» et spécialiste de l’Eurovision. Le nom KAJ vient des initiales des 3 membres du groupe Kevin Holmström, Axel Åhman et Jakob Norrgård. Plébiscitée par le public lors de Melodifestivalen, la sélection nationale suédoise – une sacro-sainte institution dans le pays scandinave, «Bara bada bastu», étonne d’autant plus qu’elle a relégué à la 2ème place le titre plus policé d’un ancien vainqueur de l’Eurovision, Måns Zelmerlöw. «La Suède nous a habitués à quelque chose de très produit, presque papier glacé, aujourd’hui, j’ai l’impression le public est un peu plus sensible à davantage d’aspérités, d’originalité, de singularité», relève M. Randanne. C’est la produtrice-générale du Melodifestivalen, Karin Gunnarsson, qui a approché KAJ pour leur proposer d’envoyer une contribution, explique le Suédois Anderz Wrethov, l’un des paroliers et producteurs de la chanson, un vétéran de Melodifestivalen et l’Eurovision. Formé en 2009, le groupe jouit d’une petite notoriété en Finlande, particulièrement dans la communauté suédophone dont ils sont issus. Il a suivi la très sérieuse procédure de sélection, leur candidature étant l’une des 30 – sur près de 2.800 – à concourir pour le télé-crochet, où ils se sont largement démarqués, remportant 4,3 millions de vote. «Au cours des 20 dernières années (…) on a vu tous ces artistes bien policés mais sous la surface, ce type de musique que KAJ fait est très typique du schlager (musique populaire, ndlr) suédois», note Andreas Önnerfors, professeur d’histoire des idées à l’Université Linné. Impossible selon Fabien Randanne de déterminer les ressorts exacts de leur succès mais ce fut avant tout «un vote du coeur» alors que les chansons comiques, pourtant fédératrices, ont longtemps été oubliées. «Dans le contexte actuel, nous avons tous besoin de déstresser (…) mais le vote reflète aussi tout simplement ce que les gens trouvent amusant», assure M. Önnerfors. Pour lui, c’est aussi important d’appréhender la popularité de la chanson dans le contexte plus large de l’Eurovision, concours créé pour rassembler au-delà des frontières. «L’Eurovision est comme un feu de camp autour duquel on se rassemble (…) cela n’a pas besoin d’être très sérieux, ça peut aussi être excentrique», dit-il. A travers ses stéréotypes culturels – ici l’appétence des Nordiques pour le sauna, on se dévoile un peu aux autres, estime le chercheur. De là à remporter la victoire le 17 mai à Bâle? L’universitaire ne franchira pas le pas. Mais pour Fabien Randanne, le trio, premier chez les bookmakers, devrait faire un très bon score grâce en particulier à la viralité de sa mélodie. L’édition 2025 mise d’ailleurs sur l’authenticité. Une vingtaine de chansons sur les 37 présentées seront dans une langue autre que l’anglais, «du jamais vu» depuis plus de 25 ans, note M. Randanne. Selon Anderz Wrethov, l’épopée de KAJ «va remuer un peu les choses». «Plus d’artistes qui ne font peut-être pas de la pop grand public peuvent peut-être se dire «wow, mais il y a une nouvelle place pour moi!».