H. ZEMMOUR (TV5Monde) : «Nous allons repenser notre offre numérique autour d’une plateforme de streaming unifiée»

Alors que TV5MONDEplus poursuit sa montée en puissance à l’échelle mondiale, la plateforme francophone repousse les frontières en matière d’innovation, d’accessibilité et de narration numérique. À l’occasion d’un nouvel élan stratégique porté par la PDG Kim Younes, Hélène Zemmour, directrice du numérique et de l’innovation chez TV5Monde, revient pour Média+ sur les nouveaux usages numériques francophones, les enjeux de découvrabilité, les collaborations clés avec l’écosystème tech, et les ambitions portées par la plateforme dans les années à venir.

Depuis le lancement de TV5MONDEplus, quels sont les principaux enseignements que vous tirez sur les usages numériques francophones dans le monde ?

En 2024, TV5MONDEplus a été regardée dans 217 pays et territoires, ce qui démontre une consommation extrêmement variée à l’échelle mondiale. Et ces usages ne sont pas uniquement francophones. En matière de plateforme, ce sont souvent les géants du numérique qui fixent les standards. Ce sont eux qui donnent le «la» en matière d’usages. Mais nous observons aussi des spécificités propres à TV5MONDEplus. Par exemple, nous constatons beaucoup de consommation hors ligne sur notre application, notamment après téléchargement, en particulier en Afrique subsaharienne, où la data reste coûteuse. Nous repérons aussi des tendances liées au genre : les séries sont très prisées par les femmes, même si elles plaisent à tous. Les hommes s’authentifient davantage, notamment en Afrique anglophone, au Maghreb ou encore en Amérique latine. Enfin, on observe l’émergence de nouveaux usages impulsés par les réseaux sociaux, qui deviennent des plateformes à part entière. YouTube est aujourd’hui un canal de distribution essentiel, et WhatsApp, qui n’est plus seulement une messagerie, devient un véritable canal de consommation de contenu (qui totalisent à ce jour plus de 2,4 millions d’abonnés).

Comment conciliez-vous l’universalité de votre offre avec la nécessaire personnalisation selon les régions du globe ?

Nos contenus sont éditorialisés et régionalisés en fonction des 8 grandes zones géographiques de TV5Monde, qui correspondent également aux zones de droits de nos programmes. Nous adaptons notre offre en jouant sur l’effet miroir des contenus : par exemple, les séries africaines performent naturellement mieux sur le continent africain. Nous proposons également des interfaces traduites dans les langues locales et des sous-titrages adaptés. Sur l’application mobile, les notifications push sont envoyées en 6 langues, ce qui nous permet d’être très ciblés. Et nous commençons aussi à intégrer l’intelligence artificielle pour accélérer et automatiser cette régionalisation, devenue indispensable pour toucher chaque public de façon pertinente.

TV5MONDEplus apparaît comme un levier stratégique pour renforcer la francophonie à l’international. Quel est votre regard sur cela ?

C’était clairement l’objectif dès le départ. Aujourd’hui, notre catalogue dépasse les 6 500 heures de programmes, accessibles et sous-titrés en 6 langues (dont l’arabe et le roumain). Cela permet de faire rayonner des cultures francophones variées : françaises, suisses, belges, québécoises, africaines… Nous croyons que chaque film ou série véhicule des valeurs et une culture. Il est donc essentiel de revendiquer notre différence face à l’uniformisation anglophone. Nous avons par exemple un savoir-faire unique dans les séries québécoises ou belges, souvent méconnu. Et ce qu’on trouve sur TV5MONDEplus, on ne le trouve nulle part ailleurs. Le fait que le 5e pays en termes de consommation soit l’Inde, et qu’on nous regarde aussi en Irak ou en Argentine, prouve qu’il existe une vraie appétence pour une offre différente.

TV5Monde intègre-t-elle de nouvelles formes de narration dans sa stratégie numérique ?

Oui, tout à fait. Nous produisons désormais des formats Digital First sous le label Création Originale, pensés prioritairement pour la plateforme. Nous explorons de nouvelles écritures. Par exemple, la série «Génération Carbone» ou encore «Là-haut sur la montagne», réalisées par Laura Gazal, humoriste et autrice. Ces séries utilisent l’humour et l’absurde pour aborder des thématiques écologiques, comme l’imaginaire d’un sport d’hiver sans neige en 2080. Nous avons aussi travaillé avec Athéna Sol, une tiktokeuse et agrégée de lettres, sur la série « On va dire les termes », où elle explore des expressions et mots francophones. Pendant le ramadan, nous avons collaboré avec Chef Simo, gagnant de Top Chef Maroc 2018, autour d’une série de recettes fusion revisitées. Nous privilégions également les formats courts verticaux, très adaptés aux plateformes type Instagram, TikTok ou YouTube Shorts. Résultat : 500 millions de vidéos vues en 2024 sur nos supports numériques.

Quelles collaborations avec l’écosystème tech et média vous semblent prometteuses ?

La collaboration est dans l’ADN de TV5Monde, puisque nous sommes l’union des chaînes publiques francophones. La plateforme TV5MONDEplus est déjà le fruit de cette union. L’été prochain, TV5MONDEplus sera disponible sur la plateforme France.tv, aux côtés de chaînes comme Arte. Cela permet de maximiser l’impact et la visibilité de nos programmes en France. Nous menons également des actions contre la désinformation, comme avec la création de « L’Alliance pour les faits », initiée lors du dernier sommet pour l’action sur l’IA, avec nos partenaires francophones du service public.

Comment voyez-vous évoluer le rôle de TV5Monde dans les 5 prochaines années ?

Nous sommes au tout début de notre nouveau plan stratégique, sous l’impulsion de notre nouvelle PDG Kim Younes. L’objectif est de bâtir un média différenciant, capable de s’imposer dans un paysage audiovisuel mondial ultra concurrentiel. Notre stratégie repose sur trois piliers : la modernisation – car notre chaîne fête ses 40 ans ; l’impact – pour gagner en puissance et en visibilité ; l’élargissement de la gouvernance et de la distribution. Nous allons repenser notre offre numérique autour d’une plateforme de streaming unifiée, d’une offre d’information repensée, et d’un volet éducatif fort, fidèle à notre ADN. Nos trois missions sont plus que jamais d’informer, divertir et éduquer.