Loin des réticences de certains de ses pairs, la chanteuse britannique Imogen Heap embrasse l’essor de l’IA générative avec la création de son propre modèle vocal et d’une plateforme de collaboration musicale à base de données certifiées. «Je suis très enthousiaste au sujet de l’IA car j’ai l’impression qu’elle pourrait aider les humains à s’emparer de l’instant présent», explique-t-elle, en marge du Web Summit, grand rassemblement de la tech à Lisbonne. L’artiste aux deux Grammy enregistre d’ailleurs la conversation, comme toutes ses interactions avec les journalistes, pour alimenter son propre modèle d’intelligence générative, baptisé Mogen, créé à l’origine pour interagir avec ses fans. «Il s’agit d’alimenter un robot conversationnel avec une base de connaissances pour qu’il puisse répondre en mon nom et que je continue à mener ma vie d’humaine», résume la musicienne, célèbre pour son titre «Hide and Seek» (2005). Loin de se limiter à cet usage, Mogen intervient dans la dernière partie du nouveau morceau de la chanteuse de 46 ans, dont la 1ère section intitulée «What Have You Done To Me» a été dévoilée début novembre. «La première partie a été faite de façon très traditionnelle, en studio, découpée et tout, mais d’une certaine façon cela sonne moins humain que la voix générée par l’IA», raconte-t-elle, avec un débit rapide. A terme, Imogen Heap aimerait créer de la musique avec l’aide de Mogen en direct lors d’un concert ou en studio, l’IA jouant le rôle d’un assistant de production et de composition. «Il s’agirait d’un océan de fichiers audio et paroles archivés pour qu’à l’avenir je puisse déambuler dans mon salon ou ma grange et créer de la musique en temps réel à partir des idées que j’ai eues précédemment et qui auront alimenté le système», indique-t-elle. L’artiste a aussi présenté en avant-première au Web Summit une plateforme, nommée Auracles, où figurent des titres accompagnés de leurs données certifiées, notamment les autorisations et conditions stipulées par les musiciens pour la réutilisation de leur travail. Les utilisateurs doivent ainsi payer pour pouvoir remixer et sampler les sons à l’aide de l’IA, un tiers des revenus allant à une association pour la défense du climat, a affirmé la chanteuse. De nombreux créateurs musicaux à travers le monde dénoncent l’usage sans autorisation de leurs créations pour alimenter les algorithmes d’IA générative. Aux Etats-Unis, la Recording Industry Association of America (RIAA) qui représente notamment Sony Music Entertainment, Universal Music Group (UMG) et Warner Records, a porté plainte en juin contre les start-up d’IA Suno et Udio, accusées «de copier le travail d’un artiste et de l’exploiter à leur profit sans consentement ni rémunération». De son côté, Imogen Heap collabore avec la jeune pousse Jen, une plateforme de génération de musique avec l’intelligence artificielle, qui prône le respect du droit d’auteur. «Au lieu d’aspirer tous les contenus musicaux sur la planète et de l’utiliser gratuitement, de pratiquer un pillage, ils veulent construire comme nous une infrastructure, soit une interface pour chaque chanson avec des autorisations nécessaires pour pouvoir réaliser certaines actions avec ce son», détaille-t-elle. Sur le site Auracles, qui sera officiellement lancé début décembre, les internautes pourront utiliser le service Jen pour créer des morceaux avec l’IA dans le style d’Imogen Heap. «Tout ce qui vient de ChatGPT (l’IA générative d’OpenAI) est basé sur le travail humain mais sans aucun crédit», fustige l’artiste. «Si nous ne sommes pas associés à notre travail et que nous ne lui attribuons aucune valeur, ce sera l’intelligence artificielle contre nous», souligne-t-elle. «Nous devons injecter ce en quoi nous croyons dans le système, nous avons de la valeur, nous avons des idées, et c’est ce que nous essayons de faire avec Auracles».