La mutation de la fiction TV française bouleverse les méthodes de travail

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    En pleine mutation, la fiction télévisée française voit l’arrivée de feuilletons quotidiens sur les chaînes hertziennes et la montée en puissance des séries dites de prestige, une hausse des volumes qui entraîne une industrialisation du secteur. «On était beaucoup plus axé en France sur la production de films unitaires ou de séries très étalées dans le temps. On voit aujourd’hui que les chaînes commandent d’un seul coup des volumes beaucoup plus importants», déclare Laurent Cormier, directeur de l’audiovisuel au Centre national de la cinématographie (CNC). «Cela change complètement la façon de travailler et de produire». La France a longtemps eu une production «artisanale» et «on a besoin d’accompagner les producteurs vers une industrialisation qui permettra à terme de produire plus vite des volumes plus importants, sans perdre en qualité», souligne Fabrice de la Patellière, directeur de la fiction de Canal+, qui produit depuis trois ans des séries haut de gamme. Dans le sillage du succès de «Plus belle la vie», lancé sur France 3 en 2004 et regardée chaque jour par 5,6 millions de personnes, les chaînes préparent ou viennent de démarrer la diffusion d’un feuilleton quotidien: «Cinq soeurs» sur France 2, «Seconde chance» sur TF1 et «Pas de secret entre nous» sur M6. Pour «Cinq soeurs», la chaîne a commandé 260 épisodes de 26′, soit une année de diffusion, avec la possibilité de stopper à 130 si l’audience est insuffisante, explique Aline Besson, directrice de la fiction chez Marathon, producteur de la série. Quatre-vingts épisodes lui ont été commandés pour «Pas de secret entre nous».Marathon avait déjà mis en place un système de double plateau pour le tournage de sa série hebdomadaire «Sous le soleil», sur les écrans depuis 13 ans. «Cette expérience nous a servis», souligne Aline Besson. «Pour «Cinq soeurs», on a un double plateau, un intérieur et un extérieur, une semaine sur deux. Pour «Pas de secret», en raison de contraintes de délai importantes, on a un système de double plateau permanent qui permet de livrer 20 épisodes toutes les trois semaines». Ces volumes importants nécessitent une production à grande échelle mais aussi une nouvelle méthode d’écriture des scénarios. «Plus belle la vie», produit par TelFrance, fonctionne par exemple avec une quinzaine d’auteurs, sous l’égide d’un directeur de collection, et quinze réalisateurs se succèdent derrière la caméra. Les séries de prestige, diffusées en première partie de soirée, misent elles aussi sur des volumes plus importants. La troisième saison d’«Engrenages», pour Canal+, aura douze épisodes (avec deux ou trois réalisateurs) contre huit pour les deux saisons précédentes. «Pour arriver à faire 24 épisodes par saison, comme les séries américaines, un seul auteur ne suffit pas», note Emmanuel Daucé, producteur à TetraMedia, qui prépare le tournage d’«Un village français» pour France 3, dont la première saison compte douze épisodes. «Il faut avoir un groupe d’auteurs réunis autour de la table. Il faut des habitudes de travail et un vocabulaire commun que peu de gens ont en France actuellement», déclare le producteur, précisant que cela bouge peu à peu. «Les corps de métier du secteur comprennent mieux les règles du jeu», selon Aline Besson. «Ils comprennent que la télévision change et que ces projets représentent du travail au quotidien, sur la durée, ce qui est important pour les intermittents». Autre avantage de cette évolution? «Il est plus facile d’exporter ces séries car les acheteurs étrangers veulent du volume», note Fabrice de la Patellière.