Le film «Barbie» révèle les divisions dans les pays du Golfe

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Autorisé en Arabie saoudite mais interdit au Koweït, le film «Barbie» au succès mondial met au jour les divisions dans les pays du Golfe, entre discours d’ouverture et conservatisme toujours prédominant. Egalement diffusé aux Emirats arabes unis et à Bahreïn, le film de Greta Gerwig n’est toujours pas disponible au Qatar et à Oman, sans aucune annonce officielle.Dans un cinéma d’un quartier cossu de l’émirat de Dubaï, l’une des villes les moins conservatrices de la région, des spectatrices habillées en rose rivalisent de selfies à l’intérieur d’un imposant encadrement à l’effigie de la célèbre poupée blonde. «On n’imaginait pas qu’un tel film serait projeté dans les pays du Golfe», confie Ouadima Al-Amiri, une étudiante de 18 ans venue au cinéma avec ses amies pour se forger leur propre opinion sur le film qui a fait l’objet de nombreuses critiques. A l’instar des autorités koweïtiennes, qui l’ont censuré pour «atteinte à la morale publique», beaucoup lui reprochent une vision jugée extrême de l’émancipation des femmes: les «barbies» occupent toutes les fonctions traditionnellement réservées aux hommes, une seule d’entre elles est enceinte, les «Kens» sont relégués au 2nd plan, se voyant refuser les plus hautes responsabilités. Depuis quelques années, la richissime monarchie du Golfe fait la part belle aux annonces favorables aux femmes: droit de conduire, autorisation de voyager sans accompagnement masculin ou envoi de la première femme astronaute saoudienne dans l’espace. Mais ces changements spectaculaires, menés sous l’égide du puissant prince héritier Mohammed ben Salmane, s’accompagnent de pressions sur les militantes féministes, dont nombreuses sont toujours emprisonnées. Dans ce pays où les cinémas n’ont rouverts qu’en 2017 après de longues années d’interdiction, des événements tout en rose ont fleuri à l’occasion de la sortie de «Barbie». Toutefois, derrière le glamour rose bonbon dans les luxueux cinémas de Ryad ou de Dubaï, le malaise est palpable. «On veut la liberté et plus d’ouverture, mais en ce qui concerne Barbie, j’ai entendu dire que ça chamboule la masculinité», raconte Hanane Al-Amoudi, une touriste saoudienne à Dubaï qui refuse de voir le film. Pour cette femme au foyer portant le voile intégral, qui se dit favorable à «l’émancipation des femmes», l’ouverture doit se faire de façon «raisonnable». Si elle s’oppose à la censure dans son pays, la journaliste koweïtienne Shaikha Al-Bahaweed déplore que «Barbie» donne «l’une des pires sinon la pire vision du féminisme», en particulier dans des pays qui y sont déjà particulièrement réfractaires, y voyant «un féminisme blanc, colonial et superficiel». «Le féminisme n’est pas le remplacement d’un système patriarcal par un système matriarcal, mais il s’agit plutôt pour l’humanité de parvenir à un système fondé sur la justice et l’égalité des chances», dit cette journaliste engagée pour les droits des femmes. Selon elle, la marque «Barbie», décriée par nombreuses féministes pour les normes physiques irréalistes qu’elle promeut, est contraire à «la pensée féministe», jusqu’à la couleur rose «qui symbolise la division des rôles sociaux en fonction du genre». A Bahreïn, le prédicateur musulman au million d’abonnés sur Instagram, Hassan Al-Husseini, a dénoncé une «révolution contre le mariage et la maternité» ainsi que des hommes «sans virilité». Critiquant aussi la participation d’une actrice transgenre, il a exhorté les autorités à mettre fin à la projection du film. Le phénomène «Barbie» survient dans un contexte de grand malaise dans les pays du Golfe à l’égard des grosses productions américaines qui cherchent une plus grande visibilité des minorités, notamment sexuelles.Certains pays de la région ont ainsi interdit le film d’animation «Buzz l’Eclair» ou, plus récemment, le dernier «Spider-Man», à cause de références plus ou moins explicites à l’homosexualité ou à la transidentité.