Les «Big Tech» doivent-ils participer au financement des réseaux télécoms ?

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GAFAM - BigTech - The biggest companies in information technology

A Barcelone, les opérateurs européens plaident la «juste contribution» des principaux consommateurs de bande passante, alors que la Commission européenne a officiellement lancé jeudi une «consultation publique» sur le sujet. «Les infrastructures télécoms coûtent des milliards. Qui doit payer pour cela?»: c’est l’une des questions majeures qui agitent les coulisses du Salon mondial du mobile (MWC), depuis qu’à Bruxelles, la Commission a lancé sa consultation sur «l’avenir du secteur des communications électroniques et de ses infrastructures».Après l’adoption du projet européen de régulation sur les services et marchés numériques («Digital Services Act», DSA et «Digital Markets Act», DMA), «c’est désormais l’un des principaux chantiers de notre espace numérique», avait déjà prévenu en mai dernier le commissaire européen Thierry Breton. Car la situation n’est pas «soutenable», a insisté lundi Christel Heydemann, DG du groupe Orange, déjà co-signataire d’un appel commun en ce sens avec les 3 autres plus grands opérateurs européens (Deutsche Telekom, Vodafone, Telefonica) en février 2022. Selon l’Etno, le lobby européen des télécoms, les géants du web et du streaming (Google, Amazon, Meta, Netflix…) représentent à eux seuls 55% du trafic en ligne, alors que les opérateurs ont investi plus de 500 milliards d’euros depuis dix ans dans le développement des réseaux nationaux. L’association, qui espère qu’une «proposition législative» sera présentée à l’issue de la consultation publique en mai prochain, plaide pour une contribution totale des géants du numérique estimée à 20 milliards d’euros par an. «Ce qu’ils proposent de faire, c’est vraiment de changer l’économie de l’internet. Cela semble simple lorsqu’ils disent: «OK, nous voulons que ces 2 ou 3 entreprises paient pour le trafic qu’elles génèrent». Mais c’est très ambitieux», souligne Dario Talmesio, directeur de recherche au sein du cabinet spécialisé Omdia. «Ils ont atteint un niveau de soutien politique sans précédent. Il est vraiment difficile de dire s’ils vont l’emporter ou non. Mais ils n’ont jamais été aussi bien positionnés», ajoute-t-il. Au grand dam de CCIA Europe, le lobby qui représente les intérêts des industries des technologies de l’information et des communications (dont sont membres les géants américains du numérique), qui dénonce «une idée terrible». «Les Européens paient déjà les opérateurs télécoms pour l’accès à l’internet, ils ne devraient pas avoir à payer une 2ème fois (…) par le biais de services de streaming et de «cloud» plus coûteux. Imposer une redevance sur le trafic internet nuirait aux consommateurs européens et saperait l’internet ouvert en traitant les données différemment», a déploré son vice-président Christian Borggreen. «Ce que nous entendons de la part des grands PDG des télécoms n’est que du vieux vin dans de nouvelles bouteilles. Rien n’a changé depuis que cette idée a été rejetée pour la dernière fois par l’Europe il y a dix ans. (…)», a-t-il dit. Il ne s’agit pas d’un «choix binaire» ou d’une bataille entre l’industrie des télécoms et la tech, a toutefois voulu rassurer lundi Thierry Breton, à Barcelone. «L’enjeu est bien plus important. Il s’agit de réaliser le grand bond en avant de la connectivité qui nous attend». Au-delà des «Big Tech», des associations européennes de défense des «droits numériques» se sont aussi inquiétées d’un possible impact d’une telle mesure sur le principe d’égalité de traitement et d’accès des contenus en ligne, dit de «neutralité du net». En septembre 2020, la Cour de justice de l’UE a considéré qu’un fournisseur d’accès ne pouvait pas privilégier certaines applications ou certains services en leur accordant un accès illimité, quand des services concurrents sont soumis à des mesures de blocage ou de ralentissement. «Soyons clairs, nous ne demandons pas ici de changer les principes de neutralité du réseau en Europe», a prévenu lundi Christel Heydemann.