Les scénaristes français dans la lumière

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Portés par l’explosion des séries, les scénaristes, longtemps invisibilisés, se retrouvent dans la lumière, avec la créatrice de «Dix pour cent» Fanny Herrero comme figure de proue. Un «mouvement salutaire», selon des professionnels. Preuve de sa notoriété plutôt rare pour une autrice télé, Fanny Herrero s’est vu confier la présidence du jury du festival Canneseries, organisé jusqu’à mercredi sur la Croisette, après le lancement de sa nouvelle série «Drôle» sur Netflix. Une petite victoire pour une profession qui se rebiffe et remet en cause «la tradition de l’auteur-réalisateur tout puissant» ancrée en France, en s’inspirant des Anglo-Saxons qui eux valorisent l’écriture, selon Fanny Herrero. «Les deux éléments essentiels pour la réussite d’une série, c’est l’écriture et l’incarnation, les acteurs», jugeait-elle récemment. «Cela ne veut pas dire que la réalisation, ce n’est pas important mais l’écriture, la partition, les personnages, les situations et comment ils vont être interprétés, c’est ça l’essentiel, c’est ça qui fait qu’on s’y attache». Or «pendant longtemps» les scénaristes ont «été complètement éjectés du processus artistique», sans «aucun droit de regard», estime Fanny Herrero, qui a quitté «Dix pour cent» avant son terme, lassée de se battre pour garder la maîtrise de la série. Avec l’arrivée des plateformes, la course aux contenus originaux et la «guerre pour les talents» entre diffuseurs, «on commence aujourd’hui à être dans une position de force et il faut qu’on en profite», ajoute la créatrice, appelant à une reconnaissance artistique et financière. Pour la scénariste Déborah Hassoun («Skam France»), la profession a aussi «beaucoup oeuvré pour sa visibilité ces dernières années au niveau des syndicats, des collectifs d’auteurs». «Une série, c’est un travail collectif», explique-t-elle. Mal rémunérés, spoliés, coupés du générique… les griefs rapportés dans le groupe Facebook «paroles de scénaristes» ont mis en lumière l’année dernière le ras-le-bol de la profession, notamment dans les coulisses de la série phénomène d’Arte «En thérapie». En conflit avec la production, les scénaristes de la saison 1 ont quitté le navire, à défaut d’avoir obtenu «droit de cité à la table des décideurs», comme l’avait expliqué à l’époque l’auteur David Elkaïm. Productrice chez Banijay («Skam France», «Germinal»), Carole Della Valle dit «comprendre parfaitement» le mouvement des auteurs. «Des erreurs, des inélégances, on en a sans doute faits». «Après il ne faut pas non plus minimiser le travail du réalisateur», insiste-t-elle, «fatiguée» du terme «showrunner» (auteur-producteur) importé des Etats-Unis, «de plus en plus» revendiqué par des «gens qui ne savent pas ce que cela veut dire. C’est être sur les plateaux absolument tous les jours et pas uniquement choisir les comédiens au moment du casting». Même constat pour le scénariste et réalisateur Arnaud Malherbe, («Moloch»), qui, s’il salue le mouvement, s’inquiète de voir «plein de jeunes scénaristes» croire qu’ils sont forcément «les patrons», (…). «C’est légitime de remettre le récit au coeur de la machine, a fortiori sur des séries longues, feuilletonnantes». Mais les réalisateurs, dont beaucoup sont aussi privés de liberté et «en souffrance», ne sont pas des «prestataires de service». «Je ne pense pas qu’on explique à Fabrice Gobert («Les revenants»), Hervé Hadmar («Pigalle, la nuit»), Olivier Abbou («Les papillons noirs») ou Thierry Poiraud («Infiniti») qui on doit caster, comment on doit mettre en scène», insiste-t-il. «Il faut un trio gagnant production/scénariste/réalisateur pour faire une bonne série», résume Jeanne Le Guillou, co-autrice avec Bruno Dega de la mini-série de TF1 «Visions». «Cela nous est arrivé plein de fois d’avoir des metteurs en scène qui» s’accaparent le scénario et le réécrivent, a abondé Bruno Dega. Avec Akim, «on a échangé, on a réécrit des choses par rapport à sa vision (…) C’est magnifique quand ça se passe comme ça».