L’Europe prend une longueur d’avance sur les Etats-Unis en régulant les cryptoactifs

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Le monde des cryptoactifs a longtemps été allergique à toute forme de contrôle. Pourtant, les règles fixées récemment par l’UE sont aujourd’hui saluées par certains de ses acteurs comme «un argument de vente pour l’Europe», qui a pris une longueur d’avance sur les États-Unis. En avril, les députés européens ont adopté à une large majorité un règlement appelé Mica (Markets in Crypto-assets) afin de lutter contre les activités illicites et le blanchiment d’argent et protéger les consommateurs qui ont perdu beaucoup d’argent dans les faillites qui ont secoué le secteur.  «Mica amène de la clarté», se félicite Jérôme Bailly, le vice-président de l’Association de la crypto-vallée, un organisme qui représente les intérêts du secteur en Suisse. «On n’est plus à cette époque où c’était le Far West. Ce que tout le monde veut dans le secteur, c’est des règles du jeu», assure-t-il en marge d’une conférence dans le canton suisse de Zoug, surnommé la crypto-vallée tant les start-up du secteur ont été nombreuses à s’y installer. «Tout le monde a hurlé contre Mica au début», reconnaît-il, «et finalement, cela devient un argument de vente pour l’Europe», car ces règles fixent un cadre «clair» pour les entreprises, qui leur permet d’organiser leurs activités. Selon lui, ces règles vont faire émerger un «bloc européen», «qui va se renforcer très vite», entraînant avec lui le Royaume-Uni et la Suisse, qui va cesser d’être «un îlot» réglementé. En revanche, «les signaux venant des EU sont clairement négatifs», prévient-il. Les entreprises américaines du secteur sont fragilisées par les faillites bancaires de Signature Bank, de Silvergate et de la Silicon Valley Bank, auprès desquelles beaucoup se finançaient. De plus, les États-Unis ont durci le ton depuis la faillite des plateformes FTX et Genesis, assignant en justice Binance, la plus importante plateforme d’échanges de cryptomonnaies au monde, ainsi que sa concurrente Coinbase. En février, l’entreprise californienne Kraken s’était déjà vu infliger une lourde amende pour ne pas avoir enregistré un de ses services auprès la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme de la Bourse américaine. Le «flou» réglementaire ajoute une difficulté supplémentaire, note M. Bailly. Un vaste débat agite les États-Unis quant à savoir quelle autorité doit superviser les cryptoactifs. «Nous voyons beaucoup d’entreprises fuir les États-Unis», observe Thomas Nägeli, avocat à Vaduz, au Liechtenstein. Et celles basées en Europe se tiennent de plus en plus à l’écart, faute de savoir à quel régulateur s’en remettre tant que le débat n’est pas tranché. «Elles n’obtiennent pas de réponses claires et ont peur d’être poursuivies en justice», explique cet avocat qui épaule les entreprises de cryptoactifs. Or «un entrepreneur» ne se lance pas «en commençant par calculer des décennies de litiges potentiels dans son budget», argumente-t-il, les start-up préférant donc éviter ce marché dans l’immédiat. «Même si l’Europe marque des points pour l’instant, l’Amérique reste le plus gros marché», nuance cet avocat. Fin mai, Peter Smith, le patron de la plateforme luxembourgeoise BlockChain.com a fustigé l’attitude «ouvertement négative» des régulateurs américains, prévenant que des «milliers de personnes incroyablement talentueuses» risquaient de s’installer dans des pays plus ouverts aux cryptoactifs, comme la France, le Portugal, le RU, les Emirats arabes unis, Singapour ou Hong Kong. Les critiques se sont multipliées, mais Martin Hiesboeck, directeur de la recherche de la plateforme d’échange Uphold, y voit surtout une façon de «mettre la pression» sur les régulateurs américains. «Personne ne veut vraiment quitter l’Amérique», a-t-il déclaré, tant ce marché est incontournable. Le 2 juin, des élus Républicains ont publié une proposition de loi de 160 pages, ce qui, espère-t-il, va ouvrir le débat avec les Démocrates pour réguler le secteur.