C’est un peu comme «réapprendre à marcher»: en mélangeant les perspectives, le jeu vidéo «Live Adventure» consacre la «deuxième personne», une vue hybride très peu répandue qui met le joueur dans la peau du caméraman de son aventure. «La deuxième personne, c’est contrôler à la fois un personnage à la première personne [en l’incarnant et en voyant à travers ses yeux] et un personnage à la troisième personne [visible entièrement à l’écran]», résume l’équipe derrière «Live Adventure», qui a reçu le prix du meilleur jeu étudiant à la prestigieuse Game Developers Conference de San Francisco en mars. Ce point de vue n’est pas nouveau dans l’univers du jeu vidéo mais reste rarissime tant il est exigeant techniquement pour les créateurs et les joueurs. «On tombait régulièrement sur des jeux qui avaient soit la partie «tu contrôles deux personnages», soit la partie «tu vois le jeu (…) à travers un personnage que tu contrôles pas», mais il n’y avait jamais les deux en même temps», dit Sébastien Butor, l’un des onze ex-étudiants de l’école Rubika de Valenciennes (nord), à l’origine du projet. Le joueur se retrouve ainsi dans la tête de Lence (détournement de «lens» en anglais pour «lentille») et derrière sa soeur Reel («bobine»). Il doit alors diriger les deux personnages à la fois pour les aider à retrouver leurs parents disparus au coeur d’une forêt enchantée. «Pour que ça fonctionne, le personnage à la première personne a toujours le focus sur le personnage à la troisième personne», détaille Sébastien Butor. Les deux héros sont donc interdépendants: l’orientation de Lence dépend des déplacements de Reel, et Reel ne peut pas explorer efficacement si Lence est trop en retrait. Afin de faciliter la mise en oeuvre de leur idée, les jeunes développeurs ont intégré un camescope, baptisé STEVE, censée «reproduire des vues de cinéma», détaille Maxence Du Mesnil Du Buisson, l’un des trois concepteurs de niveau. L’objectif: jouer sur la «narration» et la «mise en scène». Porté par Lence, STEVE incite le joueur à accorder plus d’attention aux dialogues et interactions entre les personnages. Pour Alice Fernandez, de la direction artistique, l’appareil «permet d’avoir des scènes avec une tension dramatique assez touchante», et de créer des situations «loufoques». «Dans les jeux en général, la caméra sert de fenêtre mais elle n’induit pas forcément de relation avec ce qu’on voit, et la deuxième personne a cette puissance-là, d’induire une connexion» entre les héros du jeu et la personne qui les contrôle, poursuit François Noël, le directeur création, ancien étudiant en cinéma. Ce besoin de coordonner en permanence vues subjective et objective, entre puzzles à résoudre et jeu de plateformes, pose toutefois la question de l’accessibilité au grand public. «Ça va à l’encontre de tous les réflexes que les joueurs ont», convient Samuel Basset, également concepteur de niveaux. L’expérience a provoqué des réactions opposées: les «gros joueurs» ont dû «désapprendre» et développer une nouvelle dextérité. «C’était très, très frustrant pour eux, se souvient Alice Fernandez, car ils avaient l’impression qu’on leur réapprenait à marcher !». Au contraire, les joueurs occasionnels, qui se trouvaient démunis lors des passages usant de mécaniques traditionnelles, appréhendaient mieux la deuxième personne. Disponible sur ordinateur uniquement, «Live Adventure» reste inadapté au «clavier-souris» et doit s’apprécier à la manette. Mais pour son équipe, disséminée depuis dans des studios partout en France, le concept de la 2ème personne demeure un «océan de possibilités» inexploré, qui pourrait intéresser autant ceux qui sont «lassés» par les jeux très grand public que les adeptes de titres «expérimentaux».
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