Alors que plus de 100 signataires issus du monde entier ont rejoint une pétition mondiale pour défendre la création cinématographique et audiovisuelle indépendante, Mathilde Fiquet, secrétaire générale du CEPI (European Audiovisual Production Association), alerte sur les pressions croissantes qui menacent la diversité culturelle et la souveraineté des producteurs. Elle revient sur les origines de cette initiative, ses enjeux internationaux, et les attentes concrètes du secteur indépendant européen.
MEDIA +
Le CEPI, que vous représentez, est un acteur clé dans le paysage européen de la production. Pouvez-vous nous rappeler son rôle ?
MATHILDE FIQUET
Le CEPI, European Audiovisual Production Association, représente les producteurs indépendants à l’échelle européenne par le biais de leurs associations nationales. Nous comptons aujourd’hui 19 associations réparties dans 17 pays européens, ainsi que Animation in Europe, qui regroupe les producteurs indépendants d’animation. Grâce à tous ces membres, nous parlons au nom de plus de 2.600 sociétés de production à travers l’Europe. C’est un secteur vaste, dynamique, mais aujourd’hui fortement fragilisé.
MEDIA +
Vous êtes à l’initiative d’une pétition mondiale pour défendre les œuvres cinématographiques et audiovisuelles indépendantes. Quelle en a été l’origine ? Était-ce une urgence partagée ?
MATHILDE FIQUET
Oui, tout à fait. Cela fait plusieurs mois que nous ressentons une pression croissante sur le modèle européen de soutien à la diversité de la création. Ce modèle repose en grande partie sur la directive SMA, qui permet à chaque État membre de mettre en place des politiques culturelles ambitieuses : quotas de diffusion, obligations d’investissement, etc. La France est historiquement en pointe sur ces sujets, avec une politique culturelle forte. Mais ce modèle est aujourd’hui contesté par certains acteurs extérieurs à l’Union européenne. Ils estiment qu’il crée des obligations territoriales qui ne correspondent pas à leurs objectifs stratégiques, voire qu’il représente une forme de concurrence déloyale. En discutant avec nos homologues canadiens, australiens, sud-africains ou argentins, nous nous sommes rendu compte que ce type de pression était partagé dans de nombreuses régions du monde.
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Quels sont les principaux dangers que vous identifiez pour les systèmes de soutien à la création indépendante ?
MATHILDE FIQUET
Notre grande inquiétude, c’est la capacité des producteurs indépendants à continuer à proposer des œuvres différentes, originales, risquées. Des œuvres qui ne cochent pas forcément toutes les cases d’un diffuseur ou d’un algorithme. Ce qui est en jeu, c’est l’espace de liberté dont disposent encore les producteurs pour développer des projets qui ne répondent pas à une logique purement industrielle ou standardisée. Et cela passe par des financements, mais aussi par des modèles où le producteur peut conserver une partie des droits et de la propriété intellectuelle. Cette propriété est essentielle : elle constitue un catalogue, un actif économique durable, qui permet à son tour d’investir dans de nouveaux projets. C’est un cercle vertueux. Un producteur travaille souvent sur dix idées, dont trois deviennent des projets, et peut-être une seule obtient un financement. Cette recherche permanente a un coût. Elle ne peut exister que si le producteur peut valoriser ses œuvres sur le long terme. Ce modèle est aujourd’hui sous pression face à la concentration du secteur. Les plateformes et grands groupes internationaux se consolident et disposent de moyens colossaux, face auxquels nos producteurs — majoritairement des PME — sont en position de faiblesse lors des négociations.
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Et cette pression est d’autant plus forte lorsqu’elle vient d’acteurs non européens ?
MATHILDE FIQUET
Absolument. Lorsqu’il s’agit de plateformes globales non européennes, le déséquilibre est encore plus flagrant. Les plateformes étrangères sont soumises au même réglementation que les acteurs européens lorsqu’elles entrent sur le marché européen, c’est surtout leur taille qui accentue le déséquilibre. Et pourtant, elles s’installent dans nos marchés, profitent de nos talents, de nos histoires, mais sans toujours contribuer équitablement à l’écosystème local.
MEDIA +
Qu’attendez-vous concrètement des pouvoirs publics, notamment au niveau européen ?
MATHILDE FIQUET
L’un des objectifs de cette déclaration était justement de montrer que ces inquiétudes ne sont pas propres à l’Europe. Elles sont partagées dans le monde entier. Cela permet de faire comprendre aux décideurs européens — et nationaux — que ce modèle est attaqué de toutes parts, et que les conséquences peuvent être graves : perte de diversité culturelle, affaiblissement de la souveraineté culturelle. Nous n’avons pas souhaité entrer dans les détails techniques dans ce texte, puisqu’il a une portée mondiale. Mais en Europe, cela se traduit par la nécessité de préserver la directive SMA, et de donner aux États membres les moyens de mettre en œuvre des politiques adaptées à leur secteur.
MEDIA +
Le CEPI regroupe un réseau important de producteurs. Quelles sont aujourd’hui leurs attentes concrètes ?
MATHILDE FIQUET
Nous avons publié récemment un vision paper détaillant nos priorités. Trois axes majeurs se dégagent : 1) La propriété intellectuelle. Nous défendons l’idée qu’un producteur indépendant doit conserver une part des droits de l’œuvre qu’il initie. C’est indispensable pour construire un catalogue et pérenniser son activité. 2) Un équilibre dans la chaîne de valeur. Face à des acteurs de plus en plus puissants, il faut créer un environnement qui permette aux producteurs de négocier équitablement, et d’avoir accès à des données d’audience, notamment vis-à-vis des plateformes, ce qui est souvent très opaque. 3) La reconnaissance du rôle central du producteur. Il doit rester le pivot du processus de création et de financement. Cela passe par des règles claires, des obligations d’investissement adaptées, et une régulation équilibrée entre les différents acteurs.