Plus de 15 ans après la fin de la décennie de plomb en Algérie, une poignée de réalisateurs se bat pour faire renaître le cinéma algérien, considérant chaque film comme «une urgence absolue». Depuis 2010, analyse Christophe Leparc, directeur du festival de cinéma méditerranéen (Cinemed) de Montpellier, est arrivée une «génération spontanée» de réalisateurs algériens, désormais trentenaires ou quadragénaires, qui voulaient «sortir la tête de l’eau par le biais du cinéma», tels les 2 compères Karim Moussaoui et Hassen Ferhani, qui ont co-animé l’unique ciné-club d’Alger. «Il y a une dynamique mais je ne sais pas si l’on peut parler de renouveau», a avancé prudemment mercredi Moussaoui lors d’une table ronde sur la «jeune garde du cinéma algérien», placée au coeur de Cinemed 2017. Pour ces réalisateurs qui ont connu les années de guerre civile, le cinéma est un moyen de «sortir du refoulement» et de «se regarder en face», en posant la question fondamentale: «comment trouver sa place au sein d’une société qui a été violentée», a expliqué la réalisatrice et journaliste Amel Blidi. «Le rapport au cinéma a changé depuis les années 1990» en Algérie, renchérit l’acteur et réalisateur Lyes Salem, parlant de «l’arrivée de considérations morales voire bigotes». «La 1ère chose contre laquelle je dois me battre, c’est une auto-censure qui m’a été rentrée dans la tête», avoue-t-il. Le réalisateur franco-algérien Damien Ounouri fait sienne l’expression «faire des films en mode guérilla», empruntée au maître Merzak Allouache, 73 ans, qui, en 1976, révolutionna le cinéma algérien en sortant du registre de la glorification de la lutte d’indépendance contre le pouvoir colonial français. Déployant des identités artistiques singulières, la «jeune garde» puise inlassablement, sur les pas d’Allouache, dans le quotidien plein d’obstacles, de désillusions, de débrouille, d’une population en quête de travail, d’amour, d’avenir… «J’ai toujours eu envie que ce tempérament algérien, cette façon d’aimer, de rire, de souffrir soient reconnus par le monde», admet Lyes Salem, qui vit en France mais dont «les sources d’inspiration restent en Algérie». A travers son 1er long métrage, «En attendant les hirondelles», Karim Moussaoui dit pour sa part vouloir inciter les Algériens à «prendre leur destin en main». Ses personnages, placés devant des cas de conscience complexes, «en ont marre d’attendre que les choses changent» en Algérie. Comme d’autres collègues, il admet pudiquement les difficultés rencontrées pour faire du cinéma dans son pays et notamment la distribution qu’il faut «faire soi-même». Pour la production, ces cinéastes ayant souvent un pied de chaque côté de la Méditerranée et une binationalité, à l’image de Sofia Djama, font fréquemment appel à des financements français ou européens. Mais certains, comme Damien Ounouri, expriment la volonté de «s’en affranchir», notamment pour éviter de se voir imposer des «modes», comme des projets en rapport avec les «printemps arabes». A l’indépendance, en 1962, on comptait plus de 400 salles de cinéma en Algérie et l’industrie cinématographique était très largement financée par des fonds publics. Mais dans les années 1980, ce pays riche en pétrole a vu «disparaître petit à petit ses salles de cinéma, son industrie, et ses talents» sous les effets conjugués de «l’instabilité politique» et d’une «économie défaillante», rappelle Christophe Leparc. Ce déclin s’accentue pendant les sombres années 1990 qui engendrent le départ en exil de professionnels du cinéma et de nouvelles fermetures de salles, que certains n’hésitent pas à dépeindre comme des «lieux de débauche».Aujourd’hui il ne reste qu’une centaine de cinémas autonomes dans le pays, dont 10 dans la capitale, selon le constat dressé à Cinemed. Pourtant, souligne l’actrice, scénariste et productrice Adila Bendimerad, il y a en Algérie «une faim» de culture et «d’espaces de débats».
«Les autorités algériennes, dit-elle, «doivent en prendre conscience».