Des techniciens en blouse et charlotte s’affairent dans la «salle blanche» d’Airbus à Toulouse, où est assemblé un gros satellite géostationnaire Thuraya 4 pour un opérateur émirati qui fournira la télévision par satellite en Afrique et au Moyen-Orient. Ce fonctionnement consistant à mettre de gros satellites en orbite géostationnaire à 36.000 km d’altitude, qui a structuré l’industrie européenne pendant des décennies, a été secoué après l’arrivée de SpaceX d’Elon Musk qui lance à bas coût des constellations de satellites en orbite basse. «Il est maintenant possible d’envoyer plus pour moins cher, c’est devenu le Far West», s’insurge un connaisseur du secteur. Ce bouleversement tout comme la chute de la demande de télévision par satellite, l’insuffisance des financements et la complexité de la politique spatiale européenne ont eu raison des leaders européens comme Airbus et Thales. Airbus a annoncé cette semaine la suppression de 2.500 postes dans sa branche «défense et espace» qui compte quelque 35.000 salariés. Plombé par l’accumulation de 1,5 milliard d’euros de provisions pour son activité spatiale depuis 2023, Airbus a vu son bénéfice divisé par deux au premier semestre. Thales, un autre poids lourd du secteur, avait annoncé au printemps un plan de redéploiement au sein du groupe de 1.300 postes issus de sa branche spatiale Thales Alenia Space.
Perte de compétences : «Ce n’est pas étonnant», résume Pierre Lionnet, directeur de recherche à Eurospace, qui rassemble les industriels européens de l’espace. L’Europe a perdu «la moitié du marché des satellites en dix ans», ajoute-t-il. S’il y a 4-5 ans, on avait besoin de 20 lancements de satellites par an, aujourd’hui on est descendu à 10, précise une autre source dans le milieu de l’aérospatial. Ce qui a poussé les acteurs traditionnels à prendre des décisions douloureuses pour enrayer les pertes. Ces plans de réorganisation inquiètent dans l’industrie, où la France possède 40% de la capacité spatiale en Europe et a des savoir-faire uniques. Le syndicat CGT Airbus Defense and Space Toulouse a dénoncé «un suicide industriel» dans un communiqué jeudi. «L’entreprise se saborde en se séparant de salariés ayant des savoir-faire reconnus (…) Elle sacrifie ainsi sur l’autel des profits sa capacité à répondre aux défis technologiques d’un marché en pleine transformation», a souligné le secrétaire général du syndicat Benoît Thiébault. «Il y a un risque de perte de compétence», concède Pierre Lionnet. Mais «il est moins risqué de faire un plan social structuré que d’amener une entreprise à une faillite inéluctable», nuance-t-il. L’expert met en garde Airbus en citant un récent rapport de la Nasa qui pointe du doigt l’incapacité chez son fournisseur Boeing de mener correctement ses programmes spatiaux suite à la fuite des cerveaux et aux réduction d’emplois.